Clap8, c’est maintenant !

Nous y voilà, mercredi, 7h45, Paris – Gare de Lyon.
Cet instant T est au coeur de nos discussions, de nos rêves, de notre quotidien depuis plusieurs mois, mais voilà que nous pouvons contextualiser cette image mentale que nous avons depuis tout ce temps. Lui associer une image réelle, une ambiance sonore, lui donner vie tout simplement.

Cette aventure ne nous permet-elle pas d’envisager les sensations qui habitent un réalisateur lorsque le « bébé » qu’il choie jour et nuit depuis plusieurs lunes ? De comprendre ce que ressent ce maestro qui enfin parvient à faire exprimer à un tiers les émotions qu’il contient en lui ?
Si toutefois c’est bien le cas, je comprend que ce rôle soit l’un des plus grisants que puisse offrir notre bonne vieille Terre à un des ses petits habitants.

De rouille et d’os – Jacques Audiard

La thématique était périlleuse : une jeune femme accidentée, le handicap, un type un peu paumé qui vient s’installer chez sa sœur au bord de la mer et qui traîne son gamin, l’inévitable histoire d’amour ; deux estropiés en quête d’attention, le mélo typique, en somme. C’était sans compter sur la patte incroyable d’Audiard.

Avant l’histoire d’amour, c’est une histoire de rencontres qui nous est montrée. Une histoire de confrontations ; ce sont des vies qui s’entrechoquent, des corps qui se heurtent, c’est la masse imposante, étouffante de l’orque qui nous écrase de son immensité et qui ôte ses jambes à Stéphanie. C’est cet enfant qui quête le regard de son père et qui n’en tire qu’un agacement non dissimulé, ce sont ces gestes maladroits, cette façon d’être en décalage. C’est l’âpreté de l’existence, la vie brute, sans artifice.

Caméra à l’épaule, Jacques Audiard filme le mouvement et à travers lui, la lumière. Un éclat ténu mais permanent ; le réalisateur joue avec les ombres et même quand ses personnages semblent fixer l’obscurité, la lumière est là, elle résiste, comme le symbole d’une fougue prête à exploser. On retrouve cette fébrilité chez Ali (Matthias Schoenaerts) et Stéphanie (Marion Cotillard). Ils ont en commun une sensibilité à fleur de peau, qui s’exprime par le combat chez lui – ce besoin irrépressible de se lever, de cogner, de courir – et par la réappropriation de son corps à elle, dans la nage, la rééducation, dans les bouffées d’impuissance, dans les cris.  Audiard filme au plus près des visages et des corps, les rendant fragiles et imparfaits.

Plus que jamais, le corps est mis en exergue ; le sexe est filmé nu, on pénètre dans l’intimité sans pudeur mais avec retenue, les corps s’enroulent, se lient. Audiard ne cache pas l’infirmité, il la montre brute, les moignons bien apparents mais il n’y a pas de malaise, il n’y a que la sensualité ébouriffante de Marion Cotillard et le regard de Matthias Schoenaerts sur elle. Son regard d’homme sur un corps de femme, comme une évidence. Point de handicap quand il s’agit de faire l’amour, juste la rencontre ; et le plaisir.

Audiard n’embellit pas la vie, il ne tombe pas dans le superflu. Il choisit de faire l’économie des mots ; tout passe par l’image, par les expressions sur les visages abîmés des personnages – tout aussi bien les secondaires que les héros, d’ailleurs. Le bruit de la bande son n’est pas nettoyé et la vie s’infiltre partout, tout le temps. En exergue, en arrière-plan, dans le cadre mais aussi hors champ et c’est ça qui provoque l’émotion. L’alternance entre silences et bruits. Entre immobilisme et mouvement. Quand Stéphanie retourne se baigner pour la première  fois après l’accident et sort de l’eau sur les épaules d’Ali, elle a la chair de poule, les larmes aux yeux. On sent dans cette femme qui s’abandonne la fatigue physique de la nageuse, mais aussi la satisfaction inestimable de la redécouverte d’un plaisir qu’elle croyait oublié ; une émotion exacerbée par une Marion Cotillard solaire.

C’est un film vrai, entier et pourtant tout en subtilité, un film où l’émotion n’est pas facile mais bien présente. Un film de qualité, à peine terni par la tirade de Stéphanie sur la délicatesse – trop mièvre – et la scène finale, consensuelle, qui entraîne Audiard dans la sensiblerie qu’il avait jusqu’à alors merveilleusement évitée.

Mais ces exceptions sont infimes et le réalisateur sait nous conter une histoire d’humanité et d’humilité sans tomber dans le lyrisme. Une histoire de vie qui frappe et caresse dans le même temps. Et face à cette vie si infiniment fragile et douloureuse, il y a le regard de l’enfant, qui scrute le monde ; deux grands yeux qui brillent de curiosité, d’insolence, de désir. D’amour. Et sur son visage, irradiante, la lumière.

Qui va là? (« Au-delà des collines »)

Joyeuse surprise (ou pas si joyeuse) dans la sélection du festival de Cannes. Cristian Mungiu revient sur les grands écrans (après avoir eu le Palme d’Or en 2007) avec un film très surprenant de part son thème.

« Mungiu livre un portrait génial et effrayant à la fois de l’irrationalité et la peur qui coexistent dans le cœur noir Européen. », résume The Guardian dans le chapeau de l’article dédié à la critique de ce film.

Pour résumer un peu l’histoire, il s’agit de deux jeunes filles (Alina et Voichiţa) qui se retrouvent dans un monastère loin d’un cadre urbain, la première ayant l’expérience d’être déjà partie à l’étranger pendant que l’autre semble bien endoctriné par la culture chrétienne orthodoxe. La bande annonce explique brièvement la situation des deux personnages et laisse au spectateur deviner leur relation amoureuse qui est en train de faire face à une crise.

En termes techniques, les critiques ne sont pas très parlantes. On peut supposer que le message derrière ce sujet frappant a bouleversé le champ journalistique cinématographique. Et c’est bien sûr attendu, car Mungiu (qui fait partie de ce qu’on appelle la « Nouvelle Vague » roumaine) se fait toujours remarqué par des scénarios moins « orthodoxes ». Pourtant sa mise en scène sera clairement particulière, vu que pour « 4 mois, 3 semaines et 2 jours » il avait laissé les personnages se balader dedans et en dehors du cadre tout en continuant leurs monologues. Entre autres techniques préférées de Mungiu on peut noter les plans-séquence et l’usage des éclairages spécifiques afin de reconstituer certaines atmosphères. Assez tentant, n’est-ce-pas ?

Je ne peux pas ne pas faire une liaison dans le cadre du cinéma Est-Européen, car la crise de la foi, de l’identité et des situations étranges dans des lieux étranges sont des sujets bien encrés et superbement exploités par les pays chrétiens-orthodoxes. D’après le modèle tarkovskyan  (notamment dans « Stalker »), Mungiu essaye de recréer une ambiance tout en changeant d’outils, car la force et la fragilité des femmes sont des traits assez particuliers qui rafraîchissent cette perspective et la remplissent de nuances dramatiques.

Les mots les plus recourents dans les critiques semblent être „exorcisme” et „mort”. Pour le spectateur sensible, la réponse est OUI, cela arrive, le film est inspiré d’une histoire vraie, marqué bien sûr par  la touche d’un grand réalisateur. On est clairement pressés de voir (et revoir, et revoir) ce film pour réussir à élargir notre perspective et, comme Mungiu lui-même veut, créer une polémique.

Moonrise Kingdom – Wes Anderson

C’est un pré immense au milieu duquel se rejoignent une pré-ado aux yeux charbonneux et un jeune garçon dont le duvet ombre très légèrement la lèvre supérieure, pipe en bouche. Ils ont douze ans en cette fin d’été 1965 ; elle, laisse ses parents avocats et trois petits frères, lui, fuit le camp scout dans lequel il passe ses vacances ; c’est le temps de l´amour, le temps des copains et de l’aventure, chante Françoise Hardy. De l’aventure, il n’en manque pas dans cette expédition loufoque à travers laquelle Wes Anderson nous offre à voir des personnages consciencieux mais qui – pour autant – ne se prennent pas au sérieux.

Dans ce conte à l’atmosphère délicieusement sixties – des costumes aux accessoires, aucun détail n’a été laissé au hasard – les enfants mènent le jeu comme des grands ; ainsi une guerre sans pitié entre le fugitif scout et ses anciens camarades ou une relation de vieux couple entretenue par les protagonistes en chaussettes montantes/culottes courtes. On est pourtant loin de la cruauté de Sa Majesté des Mouches de Golding, ici l’humour est pince-sans-rire, la tendresse omniprésente. On retrouve dans l’amour que se portent Sam et Suzy, la poésie que Buten prêtait à Gil et Jessica. Cela donne presque envie d’avoir douze ans, de poser un disque de Françoise Hardy sur la platine et de danser sans retenue sur la plage. En face, les adultes font figure d’enfants turbulents.

Et puis… et puis, l’ouragan, la digue qui lâche, le rythme change imperceptiblement, la tension monte et l’austère Assistance Publique vient chercher Sam, lui promettant un bien sombre avenir ; il semble que tout parte à vau-l’eau, plus rien n’est maîtrisé sinon le Cuckoo de Benjamin Britten en fond sonore, qui tranche admirablement avec l’atmosphère de fin du monde.

Dans Moonrise Kingdom, Wes Anderson crée un paradoxe intéressant entre une esthétique qui confine au maniérisme – des travellings latéraux, une photographie léchée, un rythme orchestré à merveille par une bande originale de qualité – et l’univers déjanté dans lequel évoluent ses héros. Finalement, il n’y a de linéaire que la caméra, les émotions, elles, partent en tous sens. A la façon des impressionnistes, Anderson réussit à inviter la fougue dans une image d’apparence immobile et le résultat est épatant.

Il ne pouvait y avoir film plus approprié pour débuter le Festival de Cannes. Moonrise Kingdom insuffle un élan, une ardeur et s’il préfigure les quelques jours que nous passerons là-bas il me semble que ça ouvre une porte à tous les possibles.

Silence, ça tourne!

Mercredi 16 Mai, cérémonie d’ouverture du festival de Cannes : Bérénice Béjo nous a envoûtés avec un joli discours à la fois plein d’humour et de respect pour le cinéma. 

Longue robe rouge et sourire ravageur, la belle et silencieuse récompensée par le César de la meilleure actrice pour son rôle dans « The Artist » s’est livrée avec succès à cet exercice qu’elle appréhendait. Elle s’est confrontée au public impartial et silencieux aux allures de jury… à moins que ce ne soit l’obéissance à la maîtresse de cérémonie qui ait guidé leur conduite. En référence au succès époustouflant du film de Michel Hazanavicius, elle a gentiment demandé aux gens de se taire, ceux qui ne croient pas aux miracles cinématographiques ou qui interrompent ceux-ci en répondant à leur téléphone portable devant un film, alors qu’il deviendra, qui sait, le film de l’année ? Une belle entrée en matière qui permet aux hommes cachés derrière ce discours, Kyan Khojandi et Navo, révélés en 2011 par la série « Bref », de remercier le cinéma à travers le charme de Bérénice Béjo… un grand bravo !

 

Edito

« Chers étudiants,

Dans le cadre de l’année du cinéma à l’université de Paris 8, je vous propose d’assister au festival de Cannes… »

 

Lundi matin, 9h…non ce n’est pas un rêve !

Notre mission : vous emmener virtuellement sur la croisette du 23 au 28 mai. Allons-nous être à la hauteur ? … Allez, c’est d’accord, mission acceptée ! Critiques de films, coups de cœur (ou non!), interviews et photos…Clap 8, c’est pour nous cinq jours intenses, et pour vous, un pas en exclusivité dans l’un des plus grands festivals de cinéma internationaux! Regards sur le palais des Festivals, la Semaine de la Critique, « Un certain regard », ou encore la Quinzaine des Réalisateurs : A nos plumes et caméras d’étudiants-cinéphiles pour vous faire partager notre expérience ! Film en compétition ou non, projections en avant-premières, rencontres avec des professionnels du cinéma, débats, expositions… Quand Paris 8 fait son cinéma, ça donne ça !

 

Vous pouvez retrouver tous les projets de l’année du cinéma à Paris 8 sur le site www.cinema2012.univ-paris8.fr.

 

Il ne nous reste plus qu’à vous souhaiter une agréable montée des marches…