Cette année, l’Amérique latine n’a pas seulement participé au Festival de Cannes. Elle l’a habité, transformé, traversé de ses récits fiévreux, de ses formes libres et de ses voix singulières. En témoignent les deux plus hautes distinctions de la section Un certain regard, remises à des films venus du Chili et de Colombie, mais aussi une présence étendue dans toutes les strates du festival, des hommages aux premières œuvres.
Le Grand Prix de la section Un certain regard a été attribué à La mystérieuse mirada del flamenco, premier long-métrage du cinéaste chilien Diego Céspedes. Située dans les années 1980, au cœur des mines du nord du Chili, cette œuvre flamboyante suit une communauté trans persécutée, mais profondément solidaire, dans un contexte d’épidémie naissante du VIH. Le film ne se contente pas de dénoncer : il célèbre l’amour sous toutes ses formes et réinvente le conte queer à travers une esthétique hybride, entre flamboyance baroque et douleur sourde. Diego Céspedes y signe un manifeste poétique, porté par la force douce de ses actrices, dont Paula Cundinamarca dans le rôle bouleversant de Mamá Boa.
À ses côtés, Un poeta du Colombien Simón Mesa Soto a décroché le Prix du Jury avec une comédie amère et lucide sur le naufrage d’un artiste. Oscar, poète raté, alcoolique et idéaliste, se rêve mentor d’une élève prometteuse dans les quartiers populaires de Medellín. Mais son orgueil et ses illusions ne tarderont pas à l’éloigner d’elle. Le film joue avec les codes du pathétique et du burlesque, questionne les frontières entre art, éducation et échec masculin, dans une mise en scène mordante. Mesa Soto signe là une satire aussi drôle que désespérée sur la condition d’artiste en Amérique latine aujourd’hui.
Une constellation de talents du continent
Au-delà de ces deux triomphes, la sélection officielle 2025 fait la part belle à l’Amérique latine dans toute sa diversité. Du Brésil à l’Argentine, en passant par le Pérou, plusieurs titres confirment la vitalité créative d’un continent qui refuse les formats figés. O Agente Secreto de Kleber Mendonça Filho, en lice pour la Palme d’or, fait figure de favori selon la critique. Le cinéaste brésilien y poursuit son exploration politique et esthétique des fractures sociales de son pays, dans un thriller élégant et tendu.
Le Chilien Sebastián Lelio, déjà couronné à Berlin et aux Oscars, présente La Ola, une œuvre méditative sur la mémoire et le deuil. L’Argentin Juan Ignacio Ceballos propose Tres, portrait intime d’une fratrie brisée. Et le duo franco-péruvien Raphaël Quenard et Hugo David surprend avec I Love Peru, un ovni joyeusement décalé.
Le Festival n’oublie pas non plus ses classiques : Amores perros est revenu sur les écrans cannois pour célébrer ses 25 ans, lors d’une projection spéciale dans la salle Agnès Varda, en présence d’Alejandro González Iñárritu. Quant à Magellan, s’il ne s’agit pas d’une production latino-américaine, il met en lumière deux figures majeures de cette diaspora contemporaine : Gael García Bernal et Dario Yazbek Bernal, acteurs mexicains qui incarnent cette nouvelle génération prête à franchir les frontières du cinéma mondial.
Ce que révèle Cannes 2025, ce n’est pas seulement l’excellence d’un ou deux films. C’est la confirmation que l’Amérique latine ne vient plus quémander une place : elle la crée, l’habite, la transforme. Entre héritages et audaces, cinéma de genre et autofictions politiques, les récits venus du Sud questionnent, émeuvent et bousculent. Et à en croire la résonance des applaudissements, la Croisette est plus que jamais prête à les écouter.
