En plein cœur de l’été marseillais, Les Filles désir surgit comme une onde brûlante et et vivante dans le cadre de la programmation cannoise 2025, où il est présenté hors compétition. Ce premier long métrage réalisé collectivement par Prïncia Car et une bande de jeunes non-professionnels du nord de Marseille défie les catégories, tant formelles que sociales. Tourné avec peu de moyens mais une force rare, le film interroge les lignes invisibles qui séparent le sexe de l’amour, la loyauté du désir, la virilité de la tendresse.
Le point de départ : Omar et sa bande, animateurs respectés du quartier, classent les filles en deux catégories — celles que l’on épouse et celles que l’on consomme. Le retour de Carmen, ancienne amie d’enfance et ex-prostituée, vient fissurer cet ordre tacite. Ce qui suit n’est pas un récit édifiant, mais une plongée sensorielle dans la confusion des normes, dans la mécanique du regard, et dans l’héritage étouffant de la virilité.
Un film né d’un atelier, devenu manifeste
La réalisatrice ne vient pas d’un monde extérieur. Elle vit à Marseille, a rencontré ce groupe il y a huit ans, alors qu’ils avaient 14 ans, et n’a cessé de créer avec eux depuis. Les dialogues, les scènes, les gestes : tout a été improvisé, retravaillé, écrit ensemble. Ce processus de création lente et partagée, fait d’ateliers et d’improvisations théâtrales, donne au film une vérité organique, brute et tendre à la fois. « Ils ne savaient jamais quand j’allais dire ‘coupez’ », confie Prïncia. On comprend pourquoi certaines scènes, notamment avec les enfants ou dans les centres de loisirs, captent une spontanéité rare — presque documentaire.
Mais Les Filles désir ne se contente pas de dénoncer une domination masculine. Il montre comment les garçons eux-mêmes sont prisonniers d’un héritage rigide. Omar, figure centrale, porte la responsabilité du groupe, mais n’a pas le droit d’exprimer sa faiblesse ni ses émotions. Les jeunes hommes classent, jugent, excluent, mais ils le font depuis une peur ancienne : celle de ne pas être à la hauteur, celle de ne pas être “des hommes”. « Ils n’ont jamais eu l’espace pour parler du désir, du corps. Les filles, elles, parlent beaucoup plus. La parole libère — et eux n’y ont pas accès. »
Même les mères sont traversées par ces contradictions. Celle d’Omar, tout en étant lucide sur les dynamiques du groupe, tente d’écarter son fils de Carmen. Elle veut le protéger, préserver sa réputation, perpétuer une forme d’ordre — tout en pressentant, confusément, qu’elle renforce des logiques injustes. À travers elle, c’est toute la difficulté de l’émancipation qui se dessine : comment se défaire d’un héritage qui continue de dicter les gestes, les peurs, les jugements ?
Le cinéma de Prïncia ne cherche pas la leçon. Il épouse les contradictions, filme les silences autant que les colères, et ne tranche jamais à la place des personnages. Il parle de désir, d’émotions, de territoire — mais surtout d’un besoin urgent de réinvention. À l’image de Carmen, le film dérange parce qu’il refuse d’être rangé. Il vient de l’intérieur, il connaît les codes, mais il les renverse doucement, patiemment, puissamment.
