Un Couteau dans le Cœur : le film tant attendu du festival

Un Couteau dans le Cœur était l’un des films les plus attendus de cette soixante et onzième édition du Festival de Cannes. En liste pour la Palme d’Or, le nouveau film de Yann Gonzales fait désormais beaucoup parler de lui dans la presse. Les critiques sont mitigées, souvent très bonnes ou très mauvaises. Il s’agit seulement du deuxième long métrage du réalisateur après Les Rencontres d’après Minuit, déjà salué par le Festival de Cannes en 2013. Son premier film avait, en effet, remporté le prix de la Caméra d’Or.

Yann Gonzales revient donc avec une nouvelle production qui immerge le lecteur dans le monde du porno gay. Le rôle principal fut attribué à Vanessa Paradis, éblouissante sur le tapis rouge dans sa robe argentée. Elle incarne une productrice de porno gay, alcoolique et audacieuse qui se retrouve confrontée à une rupture amoureuse avec Loïs, la responsable du montage de son équipe. S’ajoute à ses tourments sentimentaux et à la pression de sa nouvelle création, l’ouverture d’une enquête suite à la mort particulièrement sordide de plusieurs acteurs présents dans ses films.  Ce thriller psychologique vacille entre humour noir, scènes crues et osées, questionnant ainsi les systèmes de normes et les marges culturelles. On retrouve notamment dans Un Couteau dans le Cœur, une remise en question du caractère figé des identités sexuelles. L’esthétique du film et son ambiance psychédélique sont également remarquables.

L’intrigue est bien ficelée et pleine de suspens, les acteurs admirables. On notera, en particulier, la belle performance de l’acteur Nicolas Maury, incarnant l’acolyte de la productrice. Ce film est, en somme, une belle découverte. Les avis négatifs semblent, toutefois, avoir pris le dessus car Un Couteau dans le Cœur n’a reçu aucun prix lors de la grande cérémonie de clôture du festival, la Palme d’Or ayant été attribuée au film Affaire de famille du réalisateur japonais Hirozaku Kore-eda.

Cérémonie de clôture Un Certain Regard

Voici les cinq premières récompenses du Festival de Cannes avec la sélection Un Certain Regard.

Après environ 2 heures d’attente, en ce vendredi 18 mai 2018, nous avons pu assister à la cérémonie de clôture de la sélection Un Certain Regard qui mettait en avant 18 films, venant de différents horizons.

Le jury est composé de trois femmes et de deux hommes.

 

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Jury pour la sélection Un Certain Regard

 

Le président du jury, Benicio Del Toro, est un comédien de renommée mondiale. Il est le gagnant du prix de la meilleure interprétation lors du Festival de Cannes 2008 pour sa performance dans Che. Il s’accompagne ensuite de la réalisatrice et scénariste palestinienne, Anne-Marie Jacir. Celle-ci avait quelques années plus tôt été sélectionnée pour présenter son premier long métrage, Le Sel de la Mer. Le réalisateur Kantemir Balagov, qui lui aussi avait été sélectionné l’an dernier pour la compétition Un Certain Regard, avec le long métrage Tesnota. Virginie Ledoyen, actrice depuis sa plus tendre enfance, a joué auprès des plus grands comme Guillaume Canet et Leonardo DiCaprio. Et pour finir, Julie Huntsinger, directrice exécutive du Festival du Film de Telluride, dans le Colorado en Amérique.

Le premier prix attribué est le Prix Spécial du Jury, décerné à Chuva é cantoria na aldeia dos mortosfes (les morts et les autres). C’est un film brésilien de Renée Nadar Messora et Joao Salaviza qui soutient la cause indienne qui se sent oppressée au Brésil.

 

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Les morts et les autres

Le second est celui de la meilleure mise en scène attribuée à Donbass de Sergei Loznitsa, qui a été par ailleurs le film d’ouverture de la compétition Un Certain Regard dans la salle Debussy. Le réalisateur soutient activement un réalisateur actuellement emprisonné, qui a eu le droit à une minute d’applaudissement en hommage à son combat.

 

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Donbass

 

Le troisième est le Prix de la Meilleure Interprétation, qui est décerné à Victor Polser dans le film Girl de Lucas Dhont, celui-ci est le plus jeune des lauréats puisqu’il est âgé de 16 ans à peine.

 

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Girl

 

Vient ensuite le Prix du Meilleur Scénario décerné à Sofia de Meryem Benm’Barek, qui présentait son tout premier film. Elle voulait mettre en avant la condition des femmes célibataires enceintes au Maroc.

 

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Sofia

 

Pour finir, le Prix d’Un Certain Regard est attribué au film suédois Gräns (Border) d’Ali Abbasi. Il est rediffusé pour la cérémonie de clôture.

 

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Border

Martin Scorsese récompensé par le Carosse d’Or

Aujourd’hui âgé de soixante-quinze ans, Martin Scorsese continue de marquer l’histoire du cinéma. Le 9 mai dernier, la Société des réalisateurs de films décernait à cet habitué du Festival de Cannes le Prix du Carrosse d’Or, s’exprimant ainsi dans son communiqué de presse : « En 2018, pour son 50ème anniversaire et la 50ème édition de la Quinzaine des réalisateurs, la SRF est fière de saluer un cinéaste d’exception et une source d’inspiration intarissable : Martin Scorsese ». Retour sur un parcours hors du commun.

Le Prix du Carrosse d’Or a été décerné à Martin Scorsese durant la cérémonie d’ouverture de la Quinzaine des réalisateurs suite à la projection de son film Mean Streets, un film significatif dans la carrière du cinéaste, déjà révélé une première fois à la Quinzaine des réalisateurs en 1974. Ce prix, créé en 2002, prend le nom de « Carrosse d’or », en hommage au long-métrage éponyme du réalisateur Jean Renoir, sorti en 1953. Il récompense les réalisateurs pour leur audace, la qualité de leurs productions ainsi que les idées novatrices apportées au monde du cinéma. L’année précédente, le prix avait été décerné au réalisateur allemand Werner Herzog.

En ce qui concerne la Quinzaine des réalisateurs, il semble important de rappeler qu’il s’agit d’une sélection indépendante du Festival de Cannes, formée par la Société des réalisateurs de films (S.R.F.) à la suite des mouvements de Mai 1968 et à l’annulation du festival, cette même année. L’objectif était de faire découvrir des films internationaux aux thèmes éclectiques, dans un esprit de non compétition. Le célèbre critique de cinéma Edouard Waintrop en est, depuis juillet 2011, le délégué général.

Martin Scorsese est donc à l’honneur de cette 50ème édition, revenons sur son riche parcours au Festival de Cannes. Tout commence en 1974, avec le succès de son film Mean Streets révélé à la Quinzaine des réalisateurs. Deux années plus tard, en 1976, Taxi Driver obtient la Palme d’Or entraînant un engouement pour le film et son réalisateur. Les prix s’enchainent. La mafia italienne reste un sujet très récurrent dans les longs métrages du cinéaste. 1986 est une année importante puisqu’il remporte le prix de la mise en scène avec sa comédie After Hours. Il préside le jury du Festival de Cannes en 1998, l’année où la Palme d’Or est attribuée au film L’éternité et Un Jour de Theodoros Angelopoulos. Il est, par la suite, président du jury des courts métrages en 2002.

Actuellement en cours de réalisation, son prochain film, The Irishman devrait sortir sur la plateforme Netflix en 2019. Plus récemment, Martin Scorsese, aux côtés de Cate Blanchett, a annoncé l’ouverture officielle de la 71e édition du Festival de Cannes.

Todos Los Saben : Le thriller psychologique espagnol ouvre la cérémonie

Le couple Cruz/Bardem se réunit autour de ce sombre chef d’œuvre, aux apparences festives, dirigé par le réalisateur Iranien Asghar Farhadi. C’est un réel renouveau qui s’effectue pour le 71ème Festival de Cannes qui n’avait pas projeté, en ouverture, de film non anglophone ou francophone depuis 2004 !

 

Un réalisateur obsédé par la condition humaine

Auteur du drame La Séparation, dont vous avez forcément, au moins, entendu parler, et qui lui a valu de nombreuses récompenses – un Ours d’or, un César et un Oscar – Farhadi semble être fasciné par la tragédie universelle qu’est celle de l’homme. Inutile de dire que gaité, strass et paillettes ne font pas partie de son univers cinématographique qui se focalise plus sur le désordre social que sur toute autre chose. Entre mensonges, rancunes et ombres douteuses qui planent, le réalisateur de Todos Los Saben resserre son étau de plus en plus fort autour de ce drame familial. Tout en faisant preuve d’une réelle douceur, le talent d’Asghar Farhadi consiste à nous faire plonger au plus profond des abysses des enfers psychologiques.

 

A la conquête de la Palme d’Or :

Quelque part dans les vignobles espagnols, une famille est déchirée, et en proie à des conflits moraux. Laura, jouée par la sublime Pénélope Cruz, revient dans son village natal pour le mariage de sa sœur, avec ses deux enfants et sans son mari ; elle y retrouve son ancien amant, interprété par Javier Bardem. Les ennuis commencent ! C’est alors que le vrai drame intervient : l’enlèvement de Clara, sa fille.

Le synopsis que Farhadi propose est très prometteur lorsque l’on connaît le style du réalisateur. Cependant, pour certaines critiques, il revêt des allures de ‘déjà vu’, qui renvoient à certaines télénovelas ou même à d’autres longs métrages, et de ce fait le rend assez prévisible. Entre crime et romance, le duo saura-t-il convaincre le jury ? Et bien ça, personne ne le sait!

 

 

 

 

 

 

 

Quelques changements pour cette 71 ème édition

Le selfie c’est fini, adieu Netflix pour la compétition et bonjour à l’Arabie Saoudite sur le tapis.

Les selfies sont désormais interdits sur le tapis rouge car d’après  le délégué général du Festival de Cannes Thierry Frémaux, ceux-ci causeraient beaucoup de troubles. Il avait déjà en 2015 invité les célébrités à moins, voir pas du tout, utiliser cette pratique qu’il considère comme « ridicule et grotesque ». Cannes est une ville de paillettes et encore plus pendant cette période de l’année, elle mélange art et élégance, on se doit de bien se tenir. Le directeur général rappelle que les photographes sont là pour faire leur travail et qu’une photo prise par l’un d’eux et un selfie n’ont pas la même portée puisque le selfie apporte une certaine proximité, alors que la photo rend la montée des marches encore plus unique.

L’an dernier était présenté en compétition un film présent sur la plateforme Netflix, Okja, permettant ainsi de le faire découvrir au public sous une plus grande envergure. Cette année, il sera désormais impossible pour un film faisant partie de la plateforme de participer à la compétition car selon le règlement du festival, un film présenté en compétition doit par la suite sortir en salles, ce à quoi Netflix se refuse. Les longs métrages de la plateforme pourront cependant être présenté hors compétition.

Petit changement également du côté des journalistes qui se voient obligés de changer leur façon de travailler puisqu’il leur est désormais impossible de découvrir les films de la sélection avant tout le monde, mais lors des premières mondiales, afin de redonner un petit coup de punch aux soirées de gala.

L’Arabie Saoudite aura l’occasion de faire sa première apparition lors de cette 71ème édition du Festival de Cannes, ils présenteront en tout 9 courts métrages. Cette démarche vise à mettre en avant le plan nommé « Vision 2030 », qui contribuerait à la diversification d’une économie encore trop sous l’influence du pétrole. L’héritier Saoudien Mohammed Ben Salmane, a pour projet d’ouvrir des salles de cinéma, après 35 années d’interdictions, qui profiteraient donc au 30 millions d’habitants.

Un pied devant l’autre

Il en fallait une, car chaque année doit fournir un bêtisier digne de ce nom. Le redoutable tapis rouge, aussi effrayant qu’attirant a accompli son méfait. Une inconnue à la robe bleue et aux talons visiblement peu stables en a fait les frais.

Oh que je redoute cette montée des marches. Habitante en région parisienne, grande habituée des transports de la capitale où s’entasser ne relève plus de l’option, les escarpins et autres talons de 10 centimètres ne sont pas mon quotidien. Journaliste en devenir, mes journées alternent entre interviews, course folle pour attraper un métro et piétinements d’impatience en attendant mon RER. Autant vous dire que le combo robe longue et talons pointus risque de me mettre à l’épreuve.

C’est ce qui est arrivé à une jeune inconnue en robe bleue, pourtant fendue, et aux talons compensés. Après avoir titubé dangereusement sur les premières marches, le tapis rouge aura eu raison d’elle et ce qui devait être un moment magique au cœur des flashs s’est transformé en une chute en slow-motion.

Pour le moment, je rigole, mais lorsque mon tour viendra de grimper dignement jusqu’au Grand Théâtre Lumière, j’ose espérer ne pas attirer la lumière des projecteurs.
Verdict : mesdames et mesdemoiselles, le style, la classe, le glam, c’est important, mais l’équilibre c’est mieux.

À dans 5 jours petit tapis.

Une photo de famille, et puis plus rien…

Cannes affectionne la figure de l’acteur-passé-à-la-mise-en-scène. C’est une figure classique du cinéma, qui réussit à certains (George Clooney, Mathieu Amalric), moins à d’autres (Sean Penn, Guillaume Canet), mais qui dit combien la mise en scène doit démanger ceux qui ont coutume d’être dirigés. Ce grand saut, Paul Dano (Little miss sunshine, There will be blood, Youth) vient de le tenter. Il présente Wildlife à la Semaine de la critique, réputée la sélection la plus exigeante du Festival de Cannes.

 

Image du film Wildlife

C’est avec une humilité presque de petit garçon que Paul Dano, l’une des coqueluches d’Hollywood, a présenté son premier film (qui peut lui faire prétendre à la Caméra d’or). Une voix un peu fluette, quelques hésitations, et une absence totale d’assurance : le comédien aux allures d’adolescent fait sa mue devant les spectateurs de l’espace Miramar. L’acteur fait place au cinéaste. A pas feutrés. Dano, pourtant, réussit son pari. Car Wildlife n’a rien d’un film prétexte censé consacrer un « acteur qui serait plus qu’un acteur ». C’est un vrai film de cinéma, une vraie mise en scène qui va chercher ses références du côté d’Edward Hopper ou de Todd Haynes, une vraie identité visuelle. Une vraie douleur aussi.

La grande réussite du film, dont le pitch simplissime se résume à l’explosion d’une famille américaine moyenne dans le Montana des sixties, tient dans son parti pris scénaristique : utiliser le personnage du fils, Joe, comme pivot de l’histoire. Dano choisit la focalisation sur l’adolescent pour montrer comment les déchirements de ses parents vont faire de lui ce qu’il deviendra. Ainsi, nous regardons Joe regarder. Nous le voyons assister, souvent impuissant, aux errances de sa mère et à l’absence de son père. Nous voyons son regard enregistrer, comme un spectateur, le drame familial en train de se jouer, comme si Joe, qui apprend la photographie, apprenait aussi à filmer la vie.

Car Joe sera un homme d’images et de sons, comme nous le montre la très belle scène finale. Un portrait de famille d’après les fêlures. Le drame a eu lieu, mais tout le monde sourit. Un portrait de famille, et puis plus rien… Le clic de l’appareil photo, c’est à la fois la fin du film et le début de la vocation de Joe. Il sera regardeur. Comment ne pas voir, dès lors, la ressemblance troublante entre l’acteur choisi pour jouer Joe, Ed Oxenbould, et Paul Dano lui-même ? « Joe Brinson, c’est moi », pourrait dire Dano pour parodier Flaubert. Le devenir cinéaste, chez Dano, paraît lié aux blessures de l’enfance.

Dans Youth de Paolo Sorrentino (2015), Paul Dano joue le rôle d’un comédien abonné aux rôles de super-héros, et qui voudrait qu’on le reconnaisse comme un auteur. Séquence prémonitoire. Trois ans plus tard, un auteur est né.

La rédaction

Everybody knows… même le spectateur !

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Image du film Everybody Knows, ouverture du 71e Festival de Cannes.

Ne nous cachons pas derrière notre Croisette. Le premier film de cette sélection cannoise est assez raté. On comprend bien l’intérêt du Festival à convoquer Penelope Cruz et Javier Bardem pour une inédite montée des marches (Laurent Weil, à toi de jouer), mais le film d’Asghar Fahradi aurait plutôt eu sa place hors compétition.

Comme le disait le regretté Pierre Desproges, on reconnaît le véritable ami à sa capacité à vous décevoir. Asghar Fahradi est incontestablement un grand cinéaste de son temps et, même si sa carrière s’était arrêtée à Une séparation ou au Client, il aurait déjà plus donné au monde que la plupart des forces vives de cette planète. La déception est d’autant plus amère. Car Fahradi est un auteur, un vrai, qui semble cette fois s’être fourvoyé dans une production qui l’a dépassé. L’oscar en poche, se sont ouvertes pour le cinéaste iranien les portes du « cinéma international de qualité ». Ainsi Fahradi tourne-t-il en Espagne un film sans grande âme mais avec un cast premium. Soyons clairs : il y perd son style, sa spécificité, son identité.

Plus de deux heures durant, il nous fournit une sorte de world pudding susceptible de plaire à tout le monde, avec la vision d’une Espagne touristique bien sous tout rapport à laquelle Pedro Almodovar, présent au générique, a semble-t-il apporté son concours. Tout y est, le bon vin des bonnes vignes, les couchers de soleil sur les collines, le jamon serrano finement coupé. Evidemment tout tourne autour de la famille, parce que la famille chez les Espagnols… Alors que Farhadi avait su travailler en profondeur les tiraillements de la société iranienne, son cinéma perd toute saveur dans cette extraterritorialité qui ne paraît être là que pour rendre son cinéma populaire, international, « starifiable ». Résultat : Everybody knows est… oubliable.

Passons sur le jeu d’acteurs médiocre (Bardem est presque aussi mauvais que chez Sean Penn), c’est surtout à un film délavé que nous avons affaire. Woody Allen lui aussi, en 2008, était tombé dans le même travers avec Vicky, Cristina, Barcelona… Une Espagne de carte postale qui avait englouti toute la saveur du cinéma allenien. Au casting à l’époque… Cruz et Bardem déjà ! Malédiction.
Le pire dans tout cela, c’est sans doute le scénario. Il n’y aura dans ce texte aucun spoil, puisque le spectateur lui-même, à force d’allusions et de clins d’œil scénaristiques, s’auto-spoilera vite et connaîtra le pot-aux-roses au bout d’une demie heure. Sans surprise donc, le film se déroule comme on l’a prévu. Et on finit par ne plus trop se soucier de cette histoire larmoyante dans laquelle même le très grand Ricardo Darin est à côté de plaque.

Restent les belles images, une certaine tension narrative, des seconds rôles intéressants, et une très belle première séquence. En dehors de cela, Everybody knows relève de la brochure touristique. On ne peut que conseiller à Farhadi d’entrer dans l’agence de voyage et d’acheter un vol retour pour Téhéran.

La rédaction

Are you happy to be in Cannes ?

Cette année à Cannes, tout change. Même la cérémonie d’ouverture. Animée par un Edouard Baer en grande forme, toujours sur le fil, faisant alterner l’humour absurde qu’on lui connait et une poésie lunaire sur fond de discrète partition au piano, la soirée aura mis sur scène, pour la première fois, le délégué général du Festival Thierry Frémaux et le Président Pierre Lescure, jusqu’alors plutôt tapis dans l’ombre alors que la lumière nimbait les seuls visages des stars. Une cérémonie presque backstage, dans la cuisine d’un festival qui affiche ses opinions, ses partis pris, son désir de renouvellement.

Seul Laurent Weil, finalement, aura échappé au vent de fraîcheur. Dans le rôle difficile de celui qui tend son micro à Pénélope Cruz sans se faire piétiner par ses talons hauts ni par le pneu de la Renault Talisman Initiale qui manque de peu de lui rouler dessus, le journaliste de Canal Plus aura posé, pour la mille trois cent soixante treizième fois depuis son premier festival (si nos calculs sont bons) SA question fétiche : « are you happy to be in Cannes ? ». Comme si monter les marches c’était la loose, comme si y présenter un film n’y était pas plus excitant que la traite des chèvres dans une basse vallée de l’Ardèche, comme si mettre une robe de soirée sublime relevait de la corvée ultime comparable au travail sur les chaines de montage de Flins… où est produite la Renault Talisman Initiale qui manque de peu de rouler sur les pieds de Laurent Weil. Bref, au journaliste de Canal revient sans doute la palme de la question con, sans intérêt, à laquelle même un prix Nobel ne trouverait rien d’intéressant à répondre. Que voulez-vous que je vous dise ? Evidemment que je suis content, évidemment que je suis excité comme une puce, et alors ?

La question de Laurent Weil a au moins une vertu, qui la tire de l’absolue vacuité. Elle souligne tout de même quelque chose d’essentiel et d’incroyablement vrai pour quiconque connaît un peu le Festival : tout le monde est content d’être là. Ce qui relie Pénélope Cruz et Elodie, Jacques, Grégoire et Maxime qui sont sur les échelles devant les marches, c’est la conscience de leur chance. Et ce bonheur-là, cette excitation-là, sont aussi des vérités du festival. Alors merci, Laurent Weil, de dire finalement l’essentiel à travers une question con. Parce que oui, on est heureux. Happy. Basique. Simple.

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« Are you happy to be in Cannes ? » demande encore une fois Laurent Weil (crédit : Canal +)

La rédaction  

You were never really here de Lynne Ramsay, une bouffée d’air

Une vie en apnée, asphyxiée par la jungle urbaine, voilà le thème du nouveau film saisissant de la réalisatrice Lynne Ramsay !

Sur fond de musique rythmée, nous assistons au combat de Joe, missionné pour retrouver la fille d’un sénateur embrigadée dans un réseau de prostitution. Loin du détective intègre, Joe est un tueur dénué de scrupule, achevant ses ennemis de son implacable marteau. Derrière le requin, se dessine un homme en souffrance, victime d’un traumatisme remontant à l’enfance et à la guerre en Irak. Par le leitmotiv de l’étouffement masochiste au sac plastique, la réalisatrice nous souffle une vérité : la violence du milieu urbain et une société névrosée.

Joaquin Phoenix est à couper le souffle dans le rôle du personnage ambivalent, mi impitoyable, mi humain. Comme une paire de converses agrémentant l’indémodable smoking, il apporte une touche supplémentaire au topos vu et revu de la brute au cœur tendre. Le thème prend une dimension universelle : la lutte pour la vie et le film s’élève au dessus de la nuée des films sans envergure, anecdotiques. L’acteur reçoit le prix d’interprétation masculine, on aurait pu espérer la palme.

L’esthétisme du film, comme le jeu d’acteurs méduse. Les corps vieillis, abimés par la vie, les enfants mutiques à l’allure de poupées de cire sont criants, percutants. You were never really here ne s’essouffle jamais, ne cède jamais à la facilité du pathos.

S’il dépeint merveilleusement l’absence au monde, l’absence du père, nous prédisons que le film ne restera quant à lui pas dans l’oubli.

Marie Tomaszewski

© Le Figaro