Bilan musical du 74ème Festival de Cannes

En présentant une tragédie musicale en ouverture du Festival de Cannes, les organisateurs rappellent l’éternelle conjugaison des mots et des notes dans Annette de Leos Carax, un film presque intégralement chanté où les dialogues amoureux s’éternisent sur la musique des Sparks. Mais c’est la compétition toute entière et les sections parallèles qui ont fait honneur à cette compagne idéale des images cinématographiques. Des chants hésitants de Tralala des frères Larrieu à l’accordéon omniprésent dans La Fièvre de Petrov de Kirill Serebrennikov, cette 74ème édition regorge de propositions musicales réussies et de quelques ratés.

Chaque année, les membres de Cannes Soundtrack écoutent avec précision les créations musicales des compositeurs présents, puis récompensent celui qui les a le plus convaincus. Pour l’édition de 2021, le prix de la meilleure bande originale revient aux Olympiades, écrite par le musicien français Rone, déjà primé aux César au mois de mars pour La Nuit Venue. Sa partition électrise en effet le noir et blanc du film de Jacques Audiard, illumine les visages de ces quatre acteurs formidables, tout en rendant compte de la vitalité des territoires du treizième arrondissement parisien. Les jurés ont alors félicité ces accents variés de ces claviers numériques et célèbrent l’inventivité de ces musiques qui pulsent le rythme des films : souvent mal considérées par les professionnels de la critique, les partitions électroniques méritent enfin leur reconnaissance internationale avec cette récompense justifiée.

Le festival s’est pourtant ouvert sur la composition éclatante des Sparks, avec le titre « So May We Start », chanson qui nous immerge dans une œuvre originale, dense et moderne mais sa modernité se bâtit sur l’utilisation de techniques anciennes, tant sur le plan cinématographique que sur le plan musical. D’ailleurs, la bande originale rock d’Annette obtient elle aussi le prix décerné par Cannes Soundtrack, ex-aequo avec Les Olympiades. Il faut dire que le métrage de Leos Carax construit sa longue narration autour des paroles répétées de la musique, tantôt instrumentale et opératique avec le morceau « Aria (The Forest) », tantôt pop à l’instar du titre « We Love Each Other So Much ». Il y a aussi des hommages sincères aux comédies musicales de Leonard Bernstein (« She’s Out of This World », « « Stepping Back In Time ») et l’usage fantastique de ces chœurs sarcastiques. La bande originale de Tralala, au contraire, ne crée pas le même émerveillement.

Jacques Demy traverse peut-être de manière un peu plus discrète le film des frères Larrieu, dont les répliques sont aussi chantées par les comédiens, et l’écriture des chansons par Philippe Katerine et Bertrand Belin n’y font rien : elles n’ont pas l’envergure ambitieuse et émotionnelle de celles d’Annette. Le 74ème Festival de Cannes a cependant fait la part belle à l’emploi diégétique de la musique avec le remarquable Julie (en 12 chapitres) réalisé par Joachim Trier : outre les notes nouvelles et enveloppantes d’Ola Fløttum, compositeur régulier du cinéaste norvégien, le film dispose d’une playlist variée qui partage la vie sentimentale de cette femme troublée et solaire. La chanson finale, « Waters of March » interprétée par Art Garfunkel, résonne avec les couplets de « So May We Start » (musique d’entrée dans le festival), nous offrant la conclusion nécessaire à cet événement mondial. Autrement dit, « a night, a death, the end of the run ».

Dans une playlist créée spécialement pour l’occasion, nous vous faisons découvrir les titres marquants de la sélection cannoise, et malgré quelques déceptions (Alexandre Desplat ne convainc pas pour sa partition de The French Dispatch), les salles remplies de Cannes ont fait vivre la musique au cinéma, ce qui nous avait tout particulièrement manqué.