Kenza Hamnoune
Festival de Cannes
Kenza Hamnoune
J’ai toujours associé le Festival de Cannes au prestige des célébrités qui montent chaque année ces marches.
Il n’est donc pas étonnant que ce que j’ai voulu mettre dans ma valise est sans surprise une paire de talons. Le genre que seul le Festival aurait pu me pousser à acheter. J’y ai ajouté une paire de spartiates au cas où, n’ayant pas encore validé mon permis talons. Deux robes de soirée, et j’étais fin prête.
Coup de chance…
Pour obtenir une invitation à monter les marches, le Festival a prévu un système de tirage au sort. Imaginez un APB de la Croisette. Nous savions déjà dès notre arrivée que les séances de Gala étaient plus dures à obtenir. C’est pourquoi, après avoir été prévenue que plusieurs personnes de l’équipe avaient eu une réponse positive à leurs vœux, j’ai été déçue de ne pas trouver de carrés verts dans mon espace personnel. C’était désespérément orange : loin du rouge écarlate des marches.
J’étais encore surprise quand un homme m’a remis une invitation. Good time, à 22h30.
Préparation
Après deux films, je m’étais réservée un moment pour me reposer et prendre vraiment le temps de me préparer. Le coup de fer à repasser n’a pas survécu au voyage. Ma robe noire était froissée. Mes talons se sont révélés trop haut ; pas grave, je vais faire le chemin en spartiates. Le vernis sur mes mains a refusé de sécher : j’ai choisi de tout retirer. Mes cheveux ont refusé d’être hydratés, la robe remontait. Et quelles cernes ! Il était 21h10 quand je suis sortie. En retard, bien entendu.
Fermeture de l’accès à 21h45
Consciente d’être en retard, je marche vite puis je cours, ma pochette dans une main, ma paire de talons dans l’autre. Je ne ressemble à rien, je suis stressée. Il faut que je trouve un endroit où enfiler mes talons une fois le palais visible, en pleine rue. Autant ridicule qu’une femme en robe de soirée courant avec sa paire de talons dans les mains. Mais moins, qu’une femme qui rate une montée des marches.
Une fois en talons je suis grandie d’assurance. Il est 21h25 et je suis à l’heure. Au moment de passer, les agents de sécurité demandent à une dame devant moi « vous comptez aller à la plage ? » et je me réjouis d’avoir autant pris cette mission au sérieux.
Les marches rouges
Ma mission était de rattraper des stars, je ne les verrai que de loin. Notre parcours nous raccourcit le tapis rouge, de toute façon les célébrités arrivent après notre entrée. Nous avons une interdiction formelle : les selfies. Il est tentant de refuser d’avancer. Impossible, car les hôtesses n’hésitent pas à vous réprimander. Néanmoins tout le monde veut sa photo : surtout moi. J’y parviens sans trébucher, sans tomber, ce qui était ma peur.
Mon ascension aura duré moins de trois minutes : déjà je suis à l’intérieur.
L’excitation, le stress et la joie retombent pour faire place à une pointe de déception : c’est donc cela, les marches ?
Ecrit par Fanta Loial
photo : Charlotte Ulles
Une vie en apnée, asphyxiée par la jungle urbaine, voilà le thème du nouveau film saisissant de la réalisatrice Lynne Ramsay !
Sur fond de musique rythmée, nous assistons au combat de Joe, missionné pour retrouver la fille d’un sénateur embrigadée dans un réseau de prostitution. Loin du détective intègre, Joe est un tueur dénué de scrupule, achevant ses ennemis de son implacable marteau. Derrière le requin, se dessine un homme en souffrance, victime d’un traumatisme remontant à l’enfance et à la guerre en Irak. Par le leitmotiv de l’étouffement masochiste au sac plastique, la réalisatrice nous souffle une vérité : la violence du milieu urbain et une société névrosée.
Joaquin Phoenix est à couper le souffle dans le rôle du personnage ambivalent, mi impitoyable, mi humain. Comme une paire de converses agrémentant l’indémodable smoking, il apporte une touche supplémentaire au topos vu et revu de la brute au cœur tendre. Le thème prend une dimension universelle : la lutte pour la vie et le film s’élève au dessus de la nuée des films sans envergure, anecdotiques. L’acteur reçoit le prix d’interprétation masculine, on aurait pu espérer la palme.
L’esthétisme du film, comme le jeu d’acteurs méduse. Les corps vieillis, abimés par la vie, les enfants mutiques à l’allure de poupées de cire sont criants, percutants. You were never really here ne s’essouffle jamais, ne cède jamais à la facilité du pathos.
S’il dépeint merveilleusement l’absence au monde, l’absence du père, nous prédisons que le film ne restera quant à lui pas dans l’oubli.
Marie Tomaszewski
© Le Figaro
Le nouveau film de Sofia Coppola pose son cadre en pleine guerre de sécession, où un Yankee blessé se retrouve être à la fois, le patient et le prisonnier d’un pensionnat de jeunes filles. Pour ce faire, la réalisatrice met en scène une sorte de bunker, un lieu où l’atmosphère qui règne ne côtoie jamais vraiment la réalité extérieure, sans pour autant l’oublier. Tour à tour, les personnages deviennent les proies des uns et des autres. Les désirs surgissent, les passions se déchainent et les esprits s’agitent.
Comme de coutume dans les films de Coppola, ça fonctionne ! Et ce, en partie grâce aux costumes (signés Stacey Battat, avec qui la réalisatrice avait travaillé pour Somewhere ou The Bling Rings), et aux décors d’époque très élaborés. La mise en scène est sans doute irréprochable. Et au vu du Prix de la Mise en Scène, décerné par le Jury du Festival de Cannes, ce n’est pas moi qui vais dire le contraire.
Or, bien que l’on soit porté durant ces 1h31 dans le monde, presque magique, ou maléfique, de ce pensionnat, quelque chose reste, pour moi, en suspend.
J’ai été la proie. La proie d’un engouement trop intense pour le nouveau film de la réalisatrice. La proie d’un engouement partagé par toutes ces personnes venues assistées à cette projection, qui m’amena à patienter deux heures durant… (et oui, c’est aussi ça le festival !). Certes, l’intention était là. L’esthétisme aussi. Mais la surprise a disparu au fil des années et des films. Le désir féminin, la virginité et la pureté des femmes, mises à mal par l’arrivée tentatrice d’un homme dans leur quotidien. Plusieurs fois revisités, ces thèmes sont sans doute ceux que Sofia Coppola connaît le mieux. Et qu’elle maitrise le mieux. Malgré tout, la déception se fait sentir. Le renouvellement n’était, pour moi, pas au rendez-vous.
Quoi de plus frustrant à Cannes, que de voir un film presque purement beau. Aucun mérite ne saurait être enlevé à la réalisatrice de The Beguiled, mais entre l’immersion, réussie, dans ce pensionnat prit dans l’œil du cyclone d’une guerre civile, et la déception des thématiques, que l’on connaît presque trop dans le cinéma de Coppola, mon avis reste mitigé à la sortie ce film.
Écrit par Marion Assenat
Quelques jours seulement après la fin du Festival, on sait quelle question vous taraude : quand est-ce que vous pourrez voir tous ces films dans les salles obscures ?
Rassurez vous, Clap 8 a tout prévu! Voici donc les différentes dates de sortie des films de la Compétition Officielle du 70ème Festival de Cannes!
HORS COMPÉTITION
• En salles :
– Les Fantômes d’Ismaël, d’Arnaud Desplechin (France) : 17 mai 2017
• Prochainement :
– D’après une histoire vraie, de Roman Polanski (France) : 1er novembre 2017
COMPÉTITION OFFICIELLE
• En salles :
– Rodin, de Jacques Doillon (France) : 24 mai 2017
– L’amant double, de François Ozon (France) : 26 mai 2017
• Prochainement :
– Geu-Hu, de Hong Sang-soo (Corée du Sud) : 7 Juin 2017
– The Beguilded, de Sofia Coppola (États-Unis) : 23 août 2017
– 120 battements par minutes, de Robin Campillo (France) : 23 août 2017
– Le Redoutable, de Michel Hazanavicius (France) : 13 septembre 2017
– Nelyubov, de Andrey Zvyagintsev (Russie) : 20 septembre 2017
– Hikari, de Naomi Kawase (Japon) : 20 septembre 2017
– Good Time, de Benny et Josh Safdie (États-Unis) : 11 octobre 2017
– Happy End, de Michael Haneke (Autriche) : 18 octobre 2017
– The Killing of a Sacred Deer, de Yórgos Lánthimos (Grèce) : 1er novembre 2017
– Wonderstruck, de Todd Haynes (États-Unis) : 15 novembre 2017
• Date de sortie inconnue :
– You Were Never Really Here, de Lynne Ramsay (Écosse)
– Aus Dem Nichts, de Fatih Akin (Allemagne)
– Krotkaya, de Sergei Loznitsa (Russie)
– Jupiter’s Moon, de Kornél Mundruczó (Hongrie)
– The Square, de Ruben Östlund (Suède)
Et enfin n’oublions pas les deux films que l’on pourra retrouver sur la plateforme payante Netflix :
– Okja, de Bong Joon-Ho (Corée du Sud / États-Unis) disponible dès le 28 juin
– The Meyerowitz Stories de Noah Baumbach (États-Unis) dont la date de sortie est encore inconnue
Rendez-vous dans les salles !
Écrit par Pauline Vallet
Si “The Square” a remporté la Palme d’Or, il y a un autre film qui a marqué les esprits dans cette sélection officielle terne et sans saveur : “120 battements par minute” de Robin Campillo, qui s’est vu décerné le Grand Prix du Jury ainsi que la Queer Palm. Puissant et éloquent, 120 BPM raconte l’histoire de Nathan qui s’engage au sein de l’association Act Up Paris, créé dix ans après le groupe américain et connu pour ses actions coup de poing afin d’éveiller les consciences sur l’épidémie du sida au début des années 90. Il y rencontrera des gens différents et émouvants et parmi eux, Sean, un jeune séropositif qui va bouleverser sa vie.
Une réalisation maîtrisée et un casting impeccable
Robin Campillo nous livre un petit bijou cinématographique qui joue tant sur la rythmique de la musique que sur les pulsations du cœur. La caméra suit cette jeune génération broyée par l’épidémie du sida, vivant dans la peur et criant à l’aide. À une époque où l’homophobie fait rage et où l’indifférence générale est absolue face à cette maladie, c’est la fureur de vivre de ces jeunes militants qui ressort plus lumineuse que jamais dans une atmosphère pourtant si sombre et mortifère.
Le réalisateur réussit à nous impliquer dans leur combat et à nous atteindre en plein cœur sans tomber dans le pathos et les clichés larmoyants. Nos émotions les plus profondes et les plus primaires ressortent naturellement grâce à des plans maîtrisés et des moments de vérité saisissants : des scènes de sexe aux débats houleux en passant par les opérations militantes à coup de jets de faux sang et les explications médicales résolument pédagogiques. Le film, qui dure pourtant 2h20, passe à une vitesse folle avec des transitions éclatantes jouant sur le flou et la lumière électrique, à l’image des vies de nos protagonistes : un avenir incertain mais une énergie débordante.
Le seul nom connu au casting est celui d’Adèle Haenel, qui tient ici un rôle secondaire juste, soutenant parfaitement l’intrigue – l’actrice laissant volontiers la place aux autres comédiens de briller. Les deux acteurs principaux, Nahuel Perez Biscayart et Arnaud Valois, quant à eux, crèvent l’écran avec leurs personnalités si différentes mais si complémentaires. Bien sûr, l’association ainsi portée à l’écran met en lumière d’autres membres intéressants qui font d’Act Up Paris une famille unie dans la lutte contre la maladie, accueillant et s’occupant des minorités touchées par le sida à l’époque : les gays, les lesbiennes, les trans, les prostitués, les toxicos mais aussi les détenus.
La vérité humaine de plein fouet
Évidemment, toute famille connaît ses moments de ruptures et celle d’Act Up Paris n’y échappe pas, se déchirant sur certains sujets houleux. Robin Campillo était lui-même un membre d’Act Up et a révélé en conférence de presse qu’il avait lui aussi habillé le cadavre d’un ami mort du sida. Le réalisateur projetait depuis un moment de faire ce film et on ne peut que le remercier de l’avoir enfin mis en boîte. “120 battements par minute” est une œuvre résolument organique qui nous met une énorme claque en pleine figure.
Pourquoi le titre “120 battement par minute” ? Parce que c’est un film qui nous transporte, qui nous transperce et accélère notre rythme cardiaque en nous bouleversant par un témoignage criant de vérité sur notre société passée et actuelle. Parce qu’on est touchés en plein cœur par le rythme effréné de ces militants d’Act Up vivant à 100 à l’heure, malgré la maladie, pour faire entendre leur cause et sensibiliser la population sur le sida. Parce que cela correspond au nombre de beats par minute de la musique house des années 80-90 qui a bercé toute une génération de fêtards et la communauté homosexuelle vivant comme des oiseaux de nuit – « Smalltown Boy » de Bronski Beat résonnant comme un hymne à la vie dans le film.
Alors pourquoi le jury du Festival de Cannes n’a pas donné la Palme d’or à ce film qui détonne dans cette sélection plutôt morose ? C’est une bonne question surtout quand on apprend dernièrement que Pedro Almodovar voulait lui décerner la précieuse récompense. Il a été très touché par “120 battements par minute” et a insisté sur l’importance de ce film : “Campillo raconte l’histoire de vrais héros qui sauvent de nombreuses vies”. Visiblement, le président du jury n’a pas su convaincre les autres membres. Et c’est bien dommage. Un tel film est nécessaire et fait terriblement écho au contexte politique actuel : de l’acharnement de la Manif pour Tous en France à la mise à mort des homosexuels en Tchétchénie, le chemin vers la tolérance et l’égalité est encore malheureusement parsemé d’embûches.
“120 battements par minute” sort au cinéma le 23 août 2017. Courez-y.
Écrit par Mégane Choquet
Il y a Christian, conservateur d’un musée d’art contemporain à Stockholm, et puis il y a les autres. Ces personnages secondaires qui vont et viennent en alimentant subtilement la descente aux enfers de cet homme à l’apparence bien trop respectable.
Un film de 2h20 qui en laissera perplexe plus d’un. Une heure et demie de séquences digne d’un chef d’oeuvre cinématographique suivi d’une sortie de route impardonnable du réalisateur qui nous perd à tout jamais au plus profond de l’ennui.
Habitués à pleurer devant les films palmés à Cannes, The Square, bourré d’humour noir nous fait rire aux éclats. Et quel plaisir de rire enfin ! Toute la première partie fait la critique poignante de l’art moderne, pour le plus grand bien de tous. Malheureusement, le personnage de Christian entraîne dans sa chute le ton satirique du film et laisse place à une heure de séquences de contemplation, lentes, dénudées d’intrigue et d’intérêt. A se demander si le réalisateur ne finit pas par faire sombrer son propre film dans ce qu’il dénonçait avec férocité jusque là.
Pourtant, The Square n’est pas seulement un film, et s’apparente à une sorte de tableau. Chaque plan finement travaillé est d’une esthétique irréprochable, subtile et surréaliste à laquelle il est difficile de rester indifférent. Et c’est certainement la meilleure raison pour laquelle ce film vaut le coup d’être vu sur grand écran.
Une Palme d’or peut être mérité, mais qui n’a pas fini de diviser. Et lorsque Ruben Östlund est venu chercher son prestigieux trophée, il a dit avoir voulu faire durer encore plus longtemps le film. Heureusement, nous avons échappé au pire.
Clémentine Imperial-Legrand
Tangente est un court-métrage réalisé par Julie Jouve et Rida Belghiat en 2015.
Dans ce court-métrage, on retrouve Florie, une réunionnaise purgeant une peine pour avoir tué son compagnon dont elle subissait la violence. Libre de participer au Grand Raid durant 3 jours, cette jeune femme se retrouve enfermée dans ses pensées. Libérée pendant un laps de temps elle reste toutefois prisonnière du passé auquel elle doit faire face dans les montagnes de la Réunion.
Lauréat du Prix Océan en 2016, Tangente a été projeté en avant première au Théâtre Croisette pour la clôture des Quinzaines des réalisateurs au Festival de Cannes 2017.
Une partie de l’équipe voyait pour la première fois le court-métrage, c’était un moment fort en émotion.
Au micro de Clap 8, les réalisateurs et les deux comédiens principaux nous donnent leur ressenti, nous parlent de leur personnage et de la réalisation.
Pour Julie Jouve, l’un des réalisateurs de Tangente, ce court-métrage n’est que le début d’une grande aventure puisqu’elle compte revenir sur le scénario de Kwassa kwassa, son premier court-métrage récompensé par le prix Mention du jury en 2015.
A la caméra : Fanta Loial et Sofia Clavel
Réalisation : Céline Fleuzin
Samedi, 18h sur la terrasse de l’hôtel Croisette Beach. Entre deux projections, l’équipe Clap8 a rencontré Pierre Vavasseur, journaliste et critique cinéma pour Le Parisien – Aujourd’hui en France. Un journaliste passionné et fidèle depuis 30 ans au Festival de cinéma qu’il défini comme « le plus proche du rêve ».
C : Que faites-vous à Cannes ? Quel est votre rôle dans le journal Le Parisien ?
P : Je viens à Cannes depuis 30 ans. Ce que prouve ma carte soirée presse (montre sa carte noire, qui donne accès à tous les événements de Cannes).
Je fais tout ce qu’on fait quand on est à Cannes : je vois des films, je les commente, je fais des interviews, des critiques, je rencontre les acteurs et actrices. J’essaie de rendre compte chaque jour de l’actualité de Cannes dans le journal Le Parisien-Aujourd’hui en France. C’est un journal qui s’intéresse à tout et qui vise tous les publics. On est quatre à le faire.
Qu’est-ce qu’une bonne critique de cinéma ?
Bonne question ! Une bonne critique de cinéma, c’est une critique qui vient du cœur. Ce n’est pas une critique qui essaie de dire ce que les autres ont dit ou vont dire. Une bonne critique c’est écouter et faire parler son cœur…ce qui n’est pas toujours facile.
Cannes étant un tel désordre, une somme d’énergie toujours remuée. Et comme vous êtes fatigués vous ne vous souvenez pas tout le temps des films que vous avez vu. Une bonne critique de cinéma c’est : résumer pour le lecteur un effet de bonheur ou un effet de colère. Parce que à Cannes on n’est jamais dans la demi-mesure. Et il faut que le lecteur le sente dans les mots.
C’est donc forcément subjectif ?
C’est ça l’art ! Et le journalisme est un art. Il faut que quand le lecteur lise le texte, quelque chose vienne vous toucher et vous traverse le cœur. L’idée c’est d’être sincère.
Je lis entre huit et neuf livres par semaine, je vois une dizaine de films par semaine. On passe notre temps dans les univers imaginaires des autres -la vie de famille n’existe pas trop dans ce métier.
Mais ce qui compte le plus, c’est de rester spectateur…dans le cinéma bien sûr.
C’est à dire garder ses bonheurs et essayer de les traduire avec les mots. Vous pouvez faire un article de 800 signes et y mettre deux heures, car chaque mot compte si on veut convaincre.
Comment se déroule une journée au Festival de Cannes pour vous ?
Alors cette année déjà, à cause des mesures de sécurité il faut venir une heure plus tôt. Je me couche à 4 heures du matin et me lève à 6 heures. Tous les matins je prends une pause et check les journaux des confrères.
Je pars sur la Croisette et m’assois au premier rang des films. En sortant de la projection, j’appelle le journal et donne mon avis, on fait le point sur les papiers. Je vais ensuite écrire ma chronique, toujours au même endroit et fait toujours le même nombre de signes j’y tient : 1875 signes. (rires)
A 19h30, on part à la montée de marches, on brief les photographes. Puis après vient le moment de soirées. Pourquoi aller dans les soirées ? – Où on n’est pas forcément invités, en fonction de nos retours positifs ou négatifs sur les films. On va dans les soirées pour récupérer les échos. Et puis à Cannes, on ne dort jamais. Mais c’est une fatigue formidable ! Et après vous êtes dans le stress parce qu’il faut s’adapter tout le temps. Pourvu que Robert de Niro n’arrive pas sur la croisette en hélicoptère !
Quel a été votre film préféré au Festival de Cannes ?
L’humanité de Bruno Dumont. C’est une question difficile parce que à Cannes on voit beaucoup de choses curieuses. Et ce film là, on n’était pas nombreux à l’avoir aimé. Et c’est plutôt un film pour Libération, pas pour Le Parisien.
J’ai directement appelé le journal en disant que c’était formidable, on a fait la Une totale. On a été le seul journal à faire la Une avec ce film.
Et au contraire, le film que vous avez le moins aimé au Festival ?
Irréversible avec Monica Bellucci. Parce que j’ai trouvé que c’était une arnaque. Ca commence par un viol et on remonte l’intrigue. Si on remonte le film dans l’ordre normal de l’action, ca fait un film sans intérêt qui finit par un viol. Je continue à penser que Gaspard Noé a arnaqué les gens en commençant par la fin. Je m’en souviens, c’était en 2002 et j’étais même membre du jury Un certain regard (rires).
Si vous pouviez définir le Festival de Cannes en un mot…
C’est la question que je pose aux acteurs. Pour ma part, je dirais « une banalité ». Cannes c’est une autre planète, c’est à dire que tout d’un coup ici tout peut se passer. Il y a quelque chose à Cannes qui est de l’ordre de la bulle…c’est une bunalité. Seulement trois événements ont crevé Cannes : Mai 68, Human Bomb à Neuilly et l’affaire DSK.
Quel est votre meilleur souvenir au Festival de Cannes ?
J’en ai beaucoup et ce sont toutes des anecdotes qui font que Cannes est une autre planète : les choses s’organisent autrement à Cannes. Par exemple, la personne que vous n’avez jamais voulu rencontrer à tel point que vous la fuyez, vous pouvez tomber dessus à 4h du matin, et ça c’est la magie de Cannes ! Ici, on est dans une autre dimension pendant 13 jours et vous n’êtes plus vous même.
Il faut savoir qu’à Cannes, le matin on marche à côté de la mer parce que ça n’engage en rien, mais le soir on marche à côté des palaces.
Mais Cannes, je dirais que c’est surtout des rencontres.
Chaque année, vous venez toujours avec la même excitation ?
Toujours, et je serai très vexé si le journal m’annonce que je ne vais pas au Festival. On rentre dans un rêve ici. Et j’ai une totale liberté. C’est un paradis incroyable.
Quel film pressentez-vous pour la Palme d’or ?
Je vais vous faire sourire, mais généralement je vois tous les films mais souvent j’en loupe toujours un. Et celui que je loupe c’est celui qui a la Palme !
Ma palme cette année, c’est le film de Naomi Kawase « Vers la lumière ». C’est l’histoire d’une technicienne en audio description, elle traduit les images pour les non voyants. Elle fait la rencontre d’un homme, photographe, qui perd peu à peu la vue et en parallèle se voit confronté à sa mere qui perd les pédales et adore aller voir la lumière du soleil couchant. C’est un film d’une grande poésie avec un sujet très original.
Je trouve que cette année la sélection n’est pas la meilleure mais ce film est pour moi la Palme d’or.
Interview réalisée par Camille Marechal, Kenza Hamnoune et Clémentine Abadie
« Haha », « Oh! », « Ahh ». Ce ne sont pas les réactions qui manquent dans la salle du Soixantième pour la projection du dernier film de Sofia Coppola.
La réalisatrice est venue présenter le jeudi 25 mai son dernier et septième long métrage à Cannes. Et c’était sans doute l’un des plus attendus de la compétition. Peut-être trop attendu car il n’a pas eu le succès escompté auprès des critiques.
La réalisatrice new-yorkaise a proposé une adaptation du roman « The beguilded » ou « Les Proies » en français, de Thomas Cullinan.
L’histoire : Alors que l’Amérique est en pleine guerre de sécession, une jeune fille découvre un soldat blessé dans la forêt et décide de le ramener dans son pensionnat afin qu’elle et les autres pensionnaires puissent le remettre sur pied.
La demeure étant situé dans le sud profond des Etats-Unis, elle prennent le risque de l’héberger alors qu’il fait parti du camp adverse.
L’arrivée de cet homme est un changement radical dans la routine isolée de ces 7 jeunes femmes puritaines. Une présence qui va éveiller les sens des pensionnaires et créer du tumulte dans un atmosphère trop calme.
Tout l’intrigue se déroule dans ou autour de la demeure et dans une durée assez courte. Il faut donc selon moi apprécier ce film à la manière d’un huis clos : par les dialogues, les interactions entre les personnages et l’ambiance angoissante créée par l’enferment.
Un casting à la Virgin Suicides
Un long-métrage très esthétique où l’on voit que chaque détail est travaillé. Des dialogues ironiques aux plans très esthétiques. Projeté dans un format pas très large, qui est non sans rappeler le fameux carré de Dolan. Un détail qui donne une toute autre dimension au film et qui permet de faire ressortir les caractères de chacun des personnages. Et tous les personnages sont intéressants.
Pour incarner la petite bande de blondinettes très sage à l’extérieur mais assez vicieuses à l’intérieur, Sofia a fait encore une fois appel à sa protégée Kristen Dunst mais aussi Nicole Kidman et Elle Faning. Clin d’œil à son ancien film ou marque de fabrique de la réalisatrice : Coppola recrée un casting qui ne peut être qu’un copier coller de la fratrie de Virgin Suicides. Colin Farell quant à lui joue le rôle du soldat blessé qui suscite les désirs et il le fait plutôt bien.
Deuxième adaptation du roman éponyme
Une première adaptation avait déjà été réalité par Don Siegel en 1971 avec Clint Eastwood dans le seul rôle masculin. Une version qui donnait davantage le point de vue et les pensées de ce personnage.
Dans la sienne Coppola propose la vision de ces sept femmes à l’allure parfaites mais pleines de failles de ce thriller qui ne manque pas pour autant d’humour. Justement dosé, il faut apprécier la dimension esthétique et le choix de la mise en scène plus que l’intrigue qui ne sert que de point de départ pour la réalisatrice. Une mise en scène qui a d’ailleurs été saluée par le jury qui lui a accordé le Prix de la mise en scène.
Camille Marechal