La poétique de l’incompréhension selon Asia Argento

 

 Jeudi soir le Palais du Festival a accueilli l’italienne et fille d’artiste Asia Argento, pour la première fois en tant que réalisatrice, avec son film Incompresa (L’incomprise). Avec son look tendant au punk, elle nous introduit dans une histoire qui touche l’âge entre l’enfance et l’adolescence.

Aria, 9 ans, traverse un période délicate entre des parents qui divorcent, la rencontre de son premier amour et des amitiés difficiles. Continuellement valdinguée entre la maison de la mère et celle du père, jamais vraiment à sa place, Aria essaye de gérer avec une maturité et une force remarquables. La performance de Giulia Salerno, 13 ans, est ce qui donne au personnage d’Aria – et au film entier un profil marqué. Entourée par des acteurs affirmés comme Charlotte Gainsbourg et Gabriel Garko, spécialement connu en Italie, son rôle et d’une épaisseur beaucoup plus grande que celui des adultes.

Charlotte Gainsbourg et Giulia Salerno, mère et fille dans Incompresa.

Le film nous garde dans un monde entre absurdité et réalité. Les figures familiales autour d’Aria sont très stéréotypées : le père incroyablement superstitieux, la mère extrêmement volubile, la sœur ainée pourrie-gâtée. Outre le scénario, ce sens de l’irréalité nous est donné aussi par la scénographie : la personnalité des parents et de la sœur est réifiée et répandue dans l’espace de vie. En général, Asia Argento nous propose des archétypes que nous connaissons tous, par expérience directe ou entendue. Notamment, Aria est la fille de deux parents ayant déjà chacun une fille, d’une union passée. Elle vit donc avec deux demi-sœurs ainées qui la tyrannisent – une situation de Cinderella, où les parents ne sont pas morts mais « juste » absents.

Dans une situation absurde et portée à l’extrême par ces personnages, Asia Argento créée un personnage sensé, qui essaye de flotter sur la surface des événements. Les petites rebellions d’Aria (refus de manger, fumer des cigarettes, s’alcooliser) sont présentées comme des aspects mineurs, qui ne deviennent pas dominants. En effet, pour une fois la petite fille ne tombe pas dans la drogue, ni la prostitution, ni le crime. Néanmoins, elle reste une enfant. Asia Argento fait de cette dualité la clé de lecture du film. Aria exprime ses pensées de manière très profonde ; elle s’occupe de soi-même, ne montre pas de peur même quand elle doit passer la nuit dans la rue. En même temps, nous voyons son besoin de stabilité par son attachement à son chat Dac, qu’elle récupère dans la rue. Ceci fait d’Aria une figure réelle, complexe, différente des enfants prodiges que nous sommes habitués à voir sur les écrans.

Parmi les films que j’ai vu à Cannes, Incompresa est peut être celui représenté de manière moins extrême et chargée que les autres. Même si sa fin est tragique, la délicatesse et la profondeur du personnage suffisent à toucher le spectateur.

Sarah Schiesser