Snow in Paradise, mauvaise descente

 

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Parmi la sélection « Un certain regard » du Festival de Cannes, Snow in Paradise d’Andrew Hulme. L’histoire est somme toute classique. Il s’agit d’un homme qui tombe dans la toxicomanie et le deal, faute de mieux dans sa vie. Andrew Hulme réussit toutefois à pousser le spectateur dans une immersion totale, presque insupportable. C’est un tour de force.

PULSION DE MORT

Dave (Frederick Schmidt) a la trentaine, il vit dans l’East End de Londres. Son existence manque de sens. Il ne travaille pas, ses revenus sont maigres, son cadre de vie limité… Autant dire que la porte est ouverte à toute proposition compensatrice. Alors Dave saute le pas, tombe dans l’argent facile du deal, de la coke et tout le bastringue. Une chute imminente, six pieds sous terre. Dave, on l’aura compris, est un anti-héros, au moins au début du film.

Dans ses plans galères, il tente d’entraîner son meilleur ami Tariq (Aymen Hamdouchi). Lui est un peu plus jeune, réfléchi. Il est clairement réticent à l’idée de rentrer dans le circuit fermé des dealers, autant par conviction religieuse (il est de confession musulmane) que par peur. Tariq échappe au piège, mais n’est pas épargné…

Dave devenu accro à la dope – qu’il fume et sniffe plus qu’il ne vend – est donc en perdition totale.

Frederick Schmidt réalise ici une performance percutante, face à laquelle le spectateur à deux choix possibles : être dans l’empathie, mieux comprendre l’état de délire, ou sortir de la salle de cinéma, bien mal à l’aise.

Les partis pris esthétiques et visuels, apportent une cohérence fine à cette déformation progressive du réel. Les plans sont instables et intrusifs. Ils plongent le spectateur dans une gêne mal nommée, accaparent son attention pour mieux la perturber.

L’oppression est accentuée par l’utilisation d’une faible profondeur de champ, qui éclate, étire et opacifie littéralement tout environnement. L’expérience du « bad trip » est restituée avec brio.

Un « paradis » donc qui prend les traits d’un calvaire éradiquant tout espoir. Défonce, meurtres et bagarres s’ensuivent. Le monde de Dave s’effondre, le spectateur se crispe sur son siège.

PULSION DE VIE

Dans un autre versant, Snow In Paradise aborde l’idée de la rédemption. Classique.

Andrew Hulme entreprend un pari osé; la voie de la repentance se dessine sous les traits d’une mosquée, véritable refuge pour l’homme amoché. Dave y trouve une aide (compensant celle de son ami Tariq), une écoute et un dialogue possible avec lui-même.

Une mise en parallèle de la drogue et de la religion que certains cinéphiles frileux jugeront facile, malvenue. Et pourtant la lecture est intéressante. Comment l’Islam traite t-il la question de la perdition d’un homme ? Quelle solution peut lui être apportée ?

L’ami Tariq, enfin, bien que peu présent à l’image, est un élément clé de l’histoire. Son nom signifie en arabe « celui qui éclaire, l’étoile qui apparaît la nuit ». Il peut être assimilé à la 86ème sourate du Coran : Al-Tariq (l’astre nocturne ou l’arrivant du soir), dans laquelle il y est notamment écrit : « Toute âme a de Dieu un gardien qui la protège des maux ».

La trajectoire de Dave vacille entre une forte dose de violence et quelques rares regards bienveillants. L’initiation est le maître mot de cette histoire.

Camille L’hermite