Le duel des audaces

Le duel des audaces - Clap 8 - Festival de Cannes

Le duel des audaces - Clap 8 - Festival de Cannes

Lundi 18 mai, deux films se sont livré bataille sur un même terrain : celui de l’audace et de l’absurde. Hasard de la programmation, les deux films sont issus de pays francophones, connus pour une tradition déjà longue d’œuvres décalées, voire surréalistes. Côté belge, le nouveau film de Jaco van Dormael, Le tout Nouveau Testament, qui réécrit l’histoire avec de nouveaux apôtres, à l’initiative d’une petite fille. Côté suisse, La Vanité de Lionel Baier, qui met en scène un cancéreux en phase terminale désireux d’euthanasie dans un motel improbable. Deux visions, deux films très différents, avec des moyens eux-mêmes très différents. Et à la fin, un score : Suisse 3, Belgique 1.

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« Dieu existe, et il habite à Bruxelles ». Le film de Jaco van Dormael commence très fort. Le spectateur est immédiatement plongé dans une atmosphère absurde, où les dialogues décalés et les situations cocasses s’enchaînent rapidement. Dieu, campé par un Benoît Poelvoorde qui poelvoordise à merveille, gère le monde à partir d’un grand ordinateur, et se révèle à la maison un vrai tyran domestique qui fait subir à sa famille un enfer quotidien. Jusqu’à la révolte d’Ea, la petite fille, qui sera le nouveau Christ et écrira, à l’aide de six nouveaux apôtres, un « tout nouveau testament ». La mise en place est brillante, extrêmement drôle, le spectateur est vite conquis. Reste à transformer l’essai… ce que le film ne fait qu’à moitié. Le problème des films qui commencent très bien, c’est qu’il est difficile, sur la longueur, de tenir le niveau. Le tout Nouveau Testament s’étiole donc un peu, car certaines situations répétitives deviennent moins drôles, et le scénario, construit sur le recrutement des nouveaux apôtres, n’évite pas l’écueil du film à sketches. Certains moments brillants se mêlent à d’autres plus lourds, tandis que la réalisation, qui semble parfois à court d’idées, multiplie les effets spéciaux plus ou moins poétiques dont tous ne sont pas justifiés. Plus le temps passe, plus le spectateur s’irrite un peu de ce conte pour enfants qui, s’il réserve par moments de belles pépites, a tendance, justement, à le prendre un peu trop pour un enfant.

La vanité - Festival de Cannes - Clap8

Lionel Baier, avec La Vanité, se situe aux antipodes de cette posture.  Nous avons affaire cette fois à un conte pour adulte, un vrai petit bijou, parmi ceux que les sections parallèles du festival accueillent parfois, faisant leur vrai travail de découvreuses. David Miller, ancien architecte veuf en phase terminale de son cancer, a décidé de planifier son euthanasie. Dans un motel de la banlieue de Lausanne, il donne rendez-vous à Esperanza, chargée de le faire passer en douce de vie à trépas. Le film installe la situation dans un cadre glaçant, avec un humour noir… très noir. Les dialogues, très écrits et remarquablement interprétés (tous les acteurs sont exceptionnels), nous montrent que la carte de l’absurde n’est pas jouée que pour l’absurde, mais que cette ambiance très étrange est mise au service d’autre chose : une sorte de parabole philosophique que n’aurait pas reniée David Lynch. La maîtrise de l’univers visuel est impressionnante : les couleurs, les cadres, tout est parfaitement maîtrisé. Chaque plan invente, riche et complexe, quelque chose qui dépasse la simple fable. Car cette euthanasie ne va pas se passer comme prévu, et le voisinage d’un jeune homme prostitué et d’un bar au nom surestimé d’Hollywood va précipiter David Miller là où il ne voulait pas aller : vers la vie, l’enfance, l’émotion. Contrairement à son homologue belge, Baier n’est pas là que pour faire rire, et le dernier quart d’heure de La Vanité, tout en émotion contenue, est bouleversant car l’appétit de vie se laisse à nouveau lire sous l’humour grinçant. Vers la fin du film, deux mains se rencontrent qui vont retisser la passerelle entre mort et vie. En une heure et quart tout juste, et sans mauvaise graisse, Lionel Baier nous aura fait faire le tour de l’existence et de ses principaux enjeux, avec une cohérence esthétique absolument bluffante. Alors que chez Dormael, tout est vanité, Baier affiche jusqu’à la dernière image une humilité et une économie de moyens qui rendent ses images d’autant plus évocatrices. Le cinéma semble avoir trouvé son helvète underground.

Jocelyn Maixent