Prix Un certain regard au dernier Festival de Cannes, le film How to Have Sex de Molly Manning Walker laisse sans voix

Attention : spoiler !

Pour un premier long-métrage, largement salué par la critique, la réalisatrice de 30 ans frappe fort ! Trois meilleures amies britanniques partent en vacances dans une station balnéaire. Ce rite de passage aux saveurs d’été se transforme rapidement en cauchemar pour l’une d’entre elles.

L’analyse 

On découvre Skye, Em et Tara, trio indestructible porté par cette dernière. Elles se réjouissent de célébrer la fin du secondaire en Crète et n’ont que trois préoccupations : faire la fête, boire et coucher. Elles font rapidement la connaissance de Badger, Paddy et Paige qui logent en face. Une complicité s’installe entre Tara et Badger, lorsque l’on découvre une Skye jalouse qui tente de déstabiliser sa « bestie » quant à sa virginité. La soirée se poursuit en boîte de nuit. Pour Paddy et Tara, les plus vaillants du groupe, elle se termine au petit matin sur le balcon. Le lendemain, même routine. Mais Badger participe à un jeu sexuel, laissant Tara au dépourvu. À l’aube, Tara a disparu. Paddy semble en savoir plus. Les vacances dérapent…

Ce moment où tout a basculé, on l’attendait. Pendant toute la première partie du film, Molly Manning Walker met l’accent sur le rapport exacerbé de ses jeunes au sexe, le tabou de la virginité et la surconsommation d’alcool. À travers des scènes de fête répétitives, des dialogues peu profonds, une dynamique de débauche, on saisit la pression plurielle exercée sur les adolescents. Sur la forme, des jeunes partent en vacances pour se défoncer et, malgré des lendemains de soirée vaseux, repartent pleine balle à une énième fête alliant toujours plus d’excès. Ils communiquent la sensation de ne rien vouloir rater, de toujours tout vivre à 200 km/h, quitte à ne pas se reposer. Finalement, ils sont en vacances pour ça : profiter de chaque instant. Sur le fond, cette vision n’est qu’une énième pression collective. Pour la jeunesse, ne pas boire ou ne pas sortir pose des problèmes d’inclusion dans la vie sociale. Ce rite de passage auquel participent les personnages, où tous les excès sont permis, n’est qu’une norme qui exclut ceux qui s’en écartent ou la refusent. Dans ce contexte de démonstration de son intégration sociale s’ajoute le tabou de la virginité, qu’il ne faut pas révéler tout haut (cf. : scène de la salle de bain) au risque d’être moqué. Car avoir des relations sexuelles est l’une des pressions les plus fortes exercées sur les adolescents aujourd’hui. Dans le film, Molly Manning Walker rend le sexe omniprésent, dans les dialogues (cf. : supermarché), jusqu’à prendre la forme de la piscine de l’hôtel (cf. : plan plongé). Et cela reflète assez bien l’hypersexualisation et la culture porn à laquelle sont confrontés beaucoup d’adolescents — à travers notamment les séries, les émissions de téléréalité, les réseaux sociaux et le porno —. Cette influence du sexe dans la société, violente et misogyne qui plus est, donne évidemment lieu à des actes de violences sexistes et sexuelles sur les plus jeunes. Dans la seconde partie du film, l’on est justement confrontés à une forme d’agression qui plonge l’héroïne dans une descente aux enfers. Lors d’une scène dérangeante entre Paddy et Tara, la réalisatrice aborde les questions graves du consentement et du viol. Une première expérience sexuelle tragique pour Tara qui s’enferme dans une profonde solitude. Elle qui prônait une amitié pour toujours se trouve délaissée par ses pairs et abusée une seconde fois dans sa chambre d’hôtel aux yeux de tous.

Au-delà de la dénonciation des diverses pressions exercées sur les adolescents, Molly Manning Walker pointe du doigt les violences sexuelles dès le plus jeune âge au sein de groupes d’amis. Elle nous questionne quant à la complicité de certains (cf. : personnage de Badger), ou au contexte de festivités lors duquel se produit ce genre d’abus sexuel. À travers le personnage de Tara, on ressent cette position ultra-délicate dans laquelle se trouve la victime, en plus d’avoir subi une agression sexuelle, de dénoncer cette personne avec qui tout le monde s’entend. Cette peur d’être incompris(e) voire rejeté(e). Et aux conséquences irréversibles sur les adolescents qui tentent de se construire, prendre confiance en eux, forger leur identité à partir de premières expériences/relations violentes. Et surtout, par le biais de ce premier long-métrage, Molly Manning Walker tient plus que tout à rappeler que « Nous devrions être libres de boire et de porter ce que nous voulons sans être agressées ».

Tout cela, Molly Manning Walker le traduit avec son sens du détail inouï. Au-delà de l’esthétique folle qui règne sur le film, des plans magnifiques aux couleurs saturées et à la dualité de colorimétrie quasi permanente, Molly Manning Walker construit véritablement son long-métrage sur le plan technique. À travers des éléments artistiques, elle parvient à nous délivrer des messages sans même avoir recours à des dialogues. Elle va notamment s’emparer d’éléments sonores pour communiquer la solitude du personnage de Tara — avec les effets de sourdine en boîte de nuit et nombreux cut violents qui nous ramènent à la réalité —. Molly Manning Walker joue également avec l’alternance du flou/net pour faire « parler » ses personnages et insiste sur les gros plans pour communiquer le mal-être de Tara. Mais c’est avec un plan d’ensemble répétitif qu’elle transmet au mieux le sentiment de souillure de son héroïne (cf. : plans de la rue remplie de déchets).

Pour couronner le tout, la réalisatrice nous offre un casting 5 étoiles porté par la brillante Mia McKenna-Bruce dans le rôle de Tara. 

How to Have Sex est un film de notre génération qui traite des problématiques d’hier et d’aujourd’hui, dont la maitrise technique ébranle et la morale bouleverse. Ses couleurs de teen movie à l’ère du spring break ne parviennent pas à chasser la sensation d’un triste documentaire qu’il transmet.

En salles le 15 novembre 2023.