Une histoire d’amour et de désir : Justesse et poésie sur les bancs de la fac

Mercredi 14 juillet matin, juste après avoir été éclaboussé par l’explosif “Titane” de Julia Ducournau, je traverse la magnifique plage de la Croisette afin de me rendre à ma prochaine projection. Au programme, Une histoire d’amour et de désir de Leyla Bouzid. C’est le second long métrage de la réalisatrice qui est également à l’origine d’ « À peine j’ouvre les yeux » sorti en 2015.  Film clôture de la Semaine de la critique, l’équipe du film, dont la réalisatrice et les acteurs principaux, nous ont fait l’honneur de leur présence avant le début de la projection.

 

Une histoire d’amour et de désir se concentre sur Ahmed (interprété par Sami Outalbali), un jeune homme de 18 ans, originaire de la banlieue parisienne, qui rentre en fac de lettres à la Sorbonne. Dès son arrivée, la belle Farah (interprétée par Zbeida Belhajamor), étudiante tunisienne, lui tape dans l’œil. Ils partagent plusieurs cours ensembles et notamment celui de littérature comparée ayant pour thème la littérature érotique orientale pré-islamique qui va bouleverser la relation naissante des deux adolescents.

Dès le début du film, les deux protagonistes affichent des différences bien marquées. Alors oui, ils partagent le même amour pour les lettres, sont tous les deux d’origine maghrébine mais ont des visions totalement opposées. Farah fait face aux préjugés d’Ahmed sur les maghrébins vivant au bled  et réplique en le traitant de zimigri (terme péjorative pour désigner les tunisiens ayant immigrés en France). Elle corrige la prononciation de son prénom et l’interpelle sur l’utilisation du mot « bled » ou « bledard ». Leurs individualités sont mises en contraste par les environnements socio-culturels des deux personnages, qui ont grandis dans des cadres totalement différents.

La question des doubles standards

A travers son film, Leyla Bouzid questionne les doubles standards entre hommes et femmes, par le biais de deux personnages féminins d’origine maghrébine : la sœur d’Ahmed, Dalila et Farah. La petite sœur d’Ahmed est en pleine romance et sa relation ne semble pas poser de problème à son frère jusqu’au jour où des rumeurs circulent dans le quartier. Cette intrigue permet de mettre en exergue le double standard. En effet, personne ne semble se préoccuper de la réputation d’Ahmed qui se rapproche également de la belle Farah. « La hchouma » (la honte) assène Ahmed lorsqu’il apprend que des rumeurs circulent sur elle. De cette manière, il sous-entend que la réputation de leur famille reposerait uniquement sur les épaules de sa sœur. D’un autre côté, la cadette de la fratrie souffre de cette invisibilisation, on l’entend dire lors d’un diner « Ici, on s’en fout des meufs ». Cependant, cette pression n’est pas directement exercée par ses parents ni par son frère tant que les histoires restent dans la sphère privée. Bien heureusement, Dalila ne se laisse jamais démonter et n’hésite jamais à se faire entendre face aux pressions misogynes qu’elle subit.

De son côté, Farah ne semble pas subir directement de pression patriarcale si ce n’est par Ahmed. Contrairement à Dalila, aucun voisinage, aucun homme ne semble la contraindre. Farah est une femme libre, extravertie et séductrice. Elle déroute le jeune homme par son franc parler et son aisance face aux sujets érotiques. Elle casse l’idée que se fait Ahmed de la femme maghrébine. En effet, Farah est constamment comparée à une troisième femme, Malika, l’ex petite amie d’Ahmed. Malika semble plus réservée, plus prude que Farah. Cette dernière est présentée par Karim et Saïdou, les deux amis d’Ahmed, comme la femme parfaite pour le jeune homme. 

Ahmed, un personnage masculin complexe mais réaliste.

Ce que le film manie à la perfection, c’est de justifier la pudeur d’Ahmed par son environnement socio-culturel (ses origines algériennes et banlieusardes) en faisant abstraction de la religion. Au début du film, il est brièvement évoqué qu’Ahmed est de confession musulmane. Cependant, l’aspect religieux n’est pas explicitement montré dans le film. Du côté de Farah, cette dernière ne parle jamais de son rapport à la religion. Cela permet de mettre en avant la culture arabo-maghrébine des deux personnages.

Dans Une histoire d’amour et de désir, Ahmed fantasme simplement sur l’idée d’une femme idéale et d’une relation parfaite, ce qui le frustre lorsque la femme qu’il désire, en l’occurrence Farah, n’apparait pas sous l’apparence qu’il voudrait et que la relation qu’il entretient avec elle ne se passe pas telle qu’il entend. Le personnage d’Ahmed s’oppose aux protagonistes de comédies égrillardes sur la sexualité adolescente comme American Pie. Ici, Ahmed casse les clichés du jeune homme obsédé par le fait de perdre sa virginité.

Le long métrage illustre avec finesse les questions d’identités culturelles, de doubles cultures, de doubles standards, de masculinité, de pudeur et de sexualité, tout en racontant une simple histoire d’amour entre deux jeunes dans leur passage à l’âge adulte. Il a su éviter le piège des stéréotypes que subissent souvent les personnages banlieusards dans le cinéma français. Totalement surpris par sa justesse, le film de Leyla Bouzid est l’un de mes coups de cœur du festival. La réalisatrice a su retranscrire avec poésie, un portrait réaliste de la jeunesse d’aujourd’hui. Prévu en salle à la rentrée (le 1er septembre), Une histoire d’amour et de désir est, selon moi, LE film à ne surtout pas manquer.