Cannes au temps du bollorisme

Je déclare ouvert le soixante-neuvième Festival de Cannes. La même phrase, tous les ans, sauf le numéro bien sûr. Comme toutes les formules magiques, celle-ci a le pouvoir d’ouvrir dix jours de vies parallèles et d’univers insoupçonnés. Comme toutes les récurrences, celle-ci a quelque chose de rassurant, de ritualisé. C’est comme une famille sicilienne qui se retrouve à la mort de la mamma. Cette année, la mamma, c’était Prince.

 

http://www.dailymotion.com/video/x49wv0v_mathieu-chedid-interprete-purple-rain-en-hommage-a-prince-cannes-2016-canal_shortfilms

 

Et pourtant. Dans cette cérémonie d’ouverture, tout est pareil mais rien n’est pareil. Pas seulement parce qu’un Lafitte approximatif a remplacé un Wilson classieux, un peu comme on aurait substitué un mauvais mélange de Corbières en fond de cuve à un Dom Pérignon aérien. Lafitte s’est planté, c’est sûr, mais là n’est pas le problème. Malgré un dispositif visuel esthétiquement réussi grâce aux multi-écrans en fond de scène, la magie n’y était pas.

En 2016, les équipes de KM, producteur de la soirée, ont voulu rajeunir la cérémonie. Demande du big boss. C’est qu’il veut son retour sur investissement, Vincent Bolloré. Et un bon gestionnaire ne saurait se contenter de réduire les coûts (on ne reviendra pas sur la béance de 50 mètres que les vagues auront bien du mal à combler sur la plage du Majestic, en lieu et place du plateau du Grand Journal survolé par de nombreux fantômes). Il faut changer, renouveler, aller chercher un nouveau public, et surtout rajeunir. Maître-mot du groupe Canal+ depuis l’arrivée de l’industriel breton.

Plateau_absent

Le plateau du Grand Journal en 2013. Absent à Cannes cette année

Une cérémonie d’ouverture cannoise à la sauce de ce jeunisme intéressé, cela donne une quantité invraisemblable de cheveux sur la soupe (vous savez, cette sensation inexprimable de ne pas savoir ce qu’il fait là, le cheveu…). Cela donne une Catherine Deneuve issue de nulle part roulant un patin gouleyant au maître de cérémonie, saynète dénuée de tout sens qui aura vu la reine de François Truffaut céder aux injonctions de la twittosphère. C’est débile mais ça fera des millions de retweets… La bêtise aussi, peut être twittosphérique.

Le cinéma n’a rien à gagner à ce mélange des genres constamment sensible dans le ton général de la cérémonie. Un vanne grasse sur le fait que Woody Allen n’est pas condamné pour viol aux Etats-Unis, et dix secondes après un hommage (réussi celui-là) au Paris cinématographique flingué par les attentats de novembre. Ce courant alternatif entre l’émotion et la déconne, sans fil rouge, sans talent d’anchorman, cela donne une cérémonie pleine de « coups », hétérogène et qui surtout fait l’impasse sur une magie du cinéma que Lambert Wilson savait incarner et évoquer.

Vivement donc que les pellicules tournent (hey bonhomme, arrête avec les pellicules, on est au temps du numérique), vivement que les films nous ramènent à l’essentiel, des histoires, des visions du monde, des cadres innovants, des montages étonnants, des choix qui font avancer le cinéma et la vie. Nous avons eu ce soir l’éclatante démonstration qu’un art et un média, ce n’est pas la même chose. Eteignez la télé. Et que la fête commence.

Jocelyn Maixent