Comment je me suis révélé

Trois souvenirs de ma jeunesse - Festival de Cannes - Clap 8

Après deux premiers jours en demi-teinte, c’est l’heure du premier « grand film » du Festival de Cannes 2015. C’est la Quinzaine des réalisateurs qui nous a offert de sélectionner (mais pourquoi pas en sélection officielle au théâtre Lumière ?, penseront les grincheux) le magnifique film d’Arnaud Desplechin, Trois souvenirs de ma jeunesse. Le réalisateur français était sans doute « palmable » cette année avec une œuvre qui, renouant avec Comment je me suis disputé ou Un Conte de Noël, compte parmi ses plus beaux films.

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Depuis le début des années 1990, Arnaud Desplechin est hanté par la question de l’identité. Celle des origines, celle de la personnalité, toujours vécue comme un dédale complexe de coins et de recoins. Aussi son héros, alter-ego autobiographique bien qu’il s’en défende, s’appelle-t-il Paul Dédalus. C’est bien à une descente dans les méandres de soi que nous convie Trois souvenirs de ma jeunesse, puisque la jeunesse, on le sait, nous fait hommes.

Et pour Desplechin, ce qui nous fait hommes, ce sont d’abord les femmes. Rares sont les cinéastes qui, comme lui, savent filmer les femmes, et dire l’importance de leur rencontre dans la destinée d’un homme. Lorsque Paul rencontre Esther, il sait voir en elle une fille exceptionnelle, cette même fille exceptionnelle qu’elle-même voudrait qu’il voie en elle. Pour Desplechin, l’amour, le vrai, est ce qui nous fait devenir ce que nous sommes. Ainsi, Esther va changer au contact de Paul, jusqu’à ne plus pouvoir se passer de lui, jusqu’à vivre un amour dévorant, excessif, qui la forgera à jamais. De son côté, Paul gardera gravées pour toujours les traces de cette fille si singulière qu’elle sera l’histoire de sa vie, et peut-être son unique amour.

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La grande force de Trois souvenirs de ma jeunesse est de dire des choses graves, essentielles, sans jamais se départir de l’esprit de légèreté. Car le film est drôle, très drôle, grâce à des dialogues remarquablement écrits et un jeu d’acteurs qui donne à ces adolescents la pertinence des adultes sans abandonner l’insouciance des enfants. Desplechin donne ainsi, peut-être, la définition la plus contemporaine du cinéma d’auteur : chaque plan, chaque seconde, font éclater aux yeux du spectateur une singularité, ce fil si ténu qui nous fait toujours échapper au cliché, à l’attendu. La singularité des personnages, de leurs paroles, celle des situations, renouvellent ce que l’on croyait savoir sur l’amour, et sur la vie. Oui l’amour existe, il existe au delà des circonstances, des deuils et des séparations, il persiste infiniment dans le souvenir de l’Autre qui ne vous quittera pas. Oui la vie est une grâce, cette grâce immense et légère, cette intensité des moments courts, volés à la pesanteur du quotidien et aux difficultés du « réel ». Le « réel », Trois souvenirs de ma jeunesse montre qu’on peut le dépasser par la recherche permanente de la singularité, ce pari immense que peut nous offrir une rencontre.

Grâce, singularité, intensité. Tout cela tient dans le dernier plan du film, sublime, comme l’image que Paul Dédalus gardera à jamais en lui. A l’issue d’une très amoureuse leçon de grec, Esther lève la tête et, face caméra, fixe son regard dans le nôtre. C’est alors le spectateur qui, plongé dans le bleu et le blond, fait l’expérience de la grâce.

Jocelyn Maixent