Freda, la force du chaos

Le mercredi 14 juillet, nous nous sommes rendus à la projection en avant-première de Freda.

Dans la catégorie Un Certain Regard, Freda, de Géssica Généus, conte l’histoire de la famille de cette protagoniste habitant dans un quartier populaire de Port-au-Prince. Survivants grâce à leur petite boutique de quartier, ils tentent comme ils le peuvent de s’éloigner et de résister à la montée en puissance de la précarité, de la violence et de l’insécurité en Haïti en croyant, coûte que coûte, à un avenir meilleur pour leur île.

Le plan fixe sur l’épicerie tenue par la famille de Freda, et notamment par sa mère, nous rappelle le cyclique quotidien des femmes Haïtiennes qui tentent de se sortir de la misère environnante et nous transmet le désir profond d’une mère, Janette, que l’avenir de ses enfants soit plus beau et plus paisible que l’ait été sa dure vie de femme. Ses trois enfants, Freda, Esther et Moïse, aux avenirs antipodiques, sont tous guidés par la même ambition : se défaire et lutter, à leurs façons, de la misère de leurs conditions de vie. Tandis qu’Esther prépare son mariage avec un riche sénateur, Moïse décide de quitter l’île et Freda, de son côté, défit l’envie de son amant de l’emmener à Saint-Dominque dans l’espoir d’un avenir plus radieux. Le quotidien de cette famille, et notamment des histoires singulières des femmes qui y sont à sa tête, est entrecoupé par une narration pensée racontant la situation politique et sociale d’un pays en crise. 

Pour la première fois depuis 1993 un film Haïtien, de plus porté par une équipe majoritairement féminine, a brillé sur le grand écran du Festival de Cannes. C’était de plus, pour sa réalisatrice Géssica Généus, son premier long-métrage, qui a su éblouir cette 74e édition en parlant, avec brio, de la situation actuelle de l’île d’Haïti, de la résilience de ses habitantes et de leurs déterminations à se sortir d’un pays gagné par la corruption, l’insécurité et doté d’un passé colonial résonant encore au présent. L’ambition de Géssica Généus de raconter la grandeur des problèmes de l’île au travers de ceux d’une famille et de son intimité est, selon moi, très intéressante et très bien réalisée. En effet, l’attachement aux personnages permet, plus largement, une prise de conscience des difficultés dont fait face plus globalement le pays. 

Rythmé par un quotidien familial et des manifestations politiques, le film de Géssica Généus reste tout de même un film lent, reflétant ainsi le destin des femmes Haïtiennes et l’emprise de leur passé et de celui de leur île sur leur présent. 

Au-delà de conter le chaos de la vie Haïtienne, Freda porte un regard tout particulier sur les conditions tragiques de ses habitantes et leur espoir, constant, d’un avenir meilleur. Dans ce cadre, j’ai particulièrement été touchée par le personnage de la mère de Freda qui, remplit d’empathie et de protection envers ses enfants, est torturée par l’incontrôlable désir d’un avenir préférable pour eux ce qui la pousse, parfois, à faire des choix et à acter de manière inégale et injustifiée envers sa progéniture. En outre, elle est perçue comme tiraillée entre le regret et la protection, le désir d’argent et la volonté de s’en sortir de manière indépendante, entre tout simplement son rôle de mère et celui d’habitante d’une île en manque.  

En clair, Freda est un appel à l’espoir, à la résistance tout autant qu’à l’acceptation; celle qu’ « on ne peut donner que ce qu’on a reçu » que ce soit envers ses proches ou envers le pays qui nous offre une détermination et une combativité sans faille. Cette histoire est celle de femmes indépendantes, indépendance bien souvent imposée et subie. Celle de femmes battantes qui incarnent, à elles seules et au quotidien, de nombreux enjeux sociétaux tels que la pauvreté, l’insécurité, les mariages forcés ou encore les violences conjugales. Freda est donc la mise en lumière de femmes courageuses constamment tourmentées par un désir de rébellion; ce dernier modéré par l’acceptation de ce qu’elles sont, étaient, et peuvent devenir ensemble. Une belle prise de conscience de la force que peut engendrer le chaos; à voir absolument au cinéma !