L’histoire de Wim Wenders et celle du Festival de Cannes sont intimement liées. Alors que l’on fête cette année les 30 ans de la Palme d’or attribuée à Paris, Texas, ce monument du cinéma de la fin du vingtième siècle, alors qu’y ont été présentés des films aussi importants que Les Ailes du désir (1987) ou The end of violence (1997), Wenders revient avec l’assurance de celui qui n’a plus rien à prouver. Dans la sélection « Un certain regard », Le sel de la terre est peut-être le plus beau film du festival 2014.
Quel choc immense que ce Sel de la terre. L’un des rares films à se voir présenté en séance unique, en présence de toute l’équipe (3h de queue pour accéder à la projection), le nouveau film de Wim Wenders est un « documentaire de création », comme Thierry Frémaux l’a présenté en ouverture. Un grand cinéaste filme un grand photographe, et en ressort une réflexion d’une rare acuité sur l’image, sur sa fonction de témoignage, mais aussi sur l’éthique et la mission du témoin. Le film raconte l’itinéraire de Sebastiao Salgado, l’un des meilleurs photographes de notre temps, qui a vécu tous les conflits du monde, s’est lancé dans des reportages au long cours, sur plusieurs années, pour aller chercher la profondeur de l’humain sous les strates de l’anecdote.
Grâce à un dispositif visuel très intelligent, qui permet de superposer à ses propres clichés le visage de Salgado parlant, c’est toute la vie du photographe qui nous est contée. Il ne s’agit pas seulement d’évoquer la vie personnelle du photographe, mais de raconter son rapport au monde, sa relation aux sujets qu’il photographie pour en faire les témoins d’une réalité donnée. Le Sel de la terre est le fruit de deux trajectoires qui se rencontrent : Wenders et Salgado sont liés par un même appétit du monde, une curiosité à toute épreuve, une soif de raconter.
Bien entendu, le film bénéficie de la force esthétique des photos de Sebastiao Salgado, mais il va plus loin : grâce à une narration épurée, une voix off discrète et un montage au cordeau, Wenders parvient à faire surgir l’émotion sans aller la chercher, avec la discrétion et l’élégance qu’il met à s’effacer derrière son sujet, comme Salgado lui-même derrière les hommes et les femmes qu’il photographie. Plus qu’un documentaire, Le Sel de la terre est une leçon d’éthique journalistique, une leçon de cinéma, et pour tout dire une leçon de vie. Le film met en valeur le propos d’une intelligence et d’une sensibilité rares de Salgado, que Wenders ne prolonge pas autrement que par une empathie tout à fait sensible à l’écran.
Le réalisateur allemand s’était déjà illustré dans le genre documentaire, avec Lisbon Story (1994), Buena vista social club (1998) et plus récemment Pina (2011). Il confirme avec Le Sel de la terre que le documentaire est une œuvre, même si celle-ci n’est pas de fiction. Jocelyn Maixent