Les amis de mon Amy sont mes amis

Le genre documentaire a toujours eu sa place au Festival de Cannes. Il rafla même la palme d’or en 2004 avec Fahrenheit 9/11, de Michael Moore. Cette année, c’est hors compétition que l’on découvre un beau film documentaire, faussement précédé d’une réputation sulfureuse : Amy de Asif Capadia. Retraçant les vingt-sept années du parcours de cette chanteuse hors normes, le film prend la forme d’une chronique sensible qui éclaire la face sombre de la star, mais qui surtout rend grâce à son talent.

amy-winehouse

La sélection de Amy à Cannes avait tout pour créer le scandale. Chanteuse sulfureuse, fauchée en pleine gloire par la défonce, exploitée par un père que le documentaire n’épargne pas, et à la merci de médias peu scrupuleux qui firent leur beurre de ses frasques… tout y était pour faire monter la sauce et faire du film d’Asif Kapadia l’un de ces événements scandaleux que la Croisette affectionne. A l’arrivée, Amy est tout le contraire d’une machine à scandale. C’est un travail sérieux, ultra documenté, et c’est aussi une déclaration d’amour à cette figure romantique qui se brûle les ailes à force de talent et d’excès. Le nombre de contributeurs est impressionnant, et fait sans doute du film « le » documentaire-somme sur Amy Winehouse.

Le parti pris d’Asif Kapadia donne beaucoup de rythme à la narration, et surtout choisit un angle très personnel, sans pour autant verser dans l’impudeur ou le voyeurisme. Le réalisateur est allé chercher quantité d’archives personnelles, films de famille, petites séquences filmées au smartphone, archives camescopées de l’enfance, sur lesquelles on entend les nombreux témoignages vocaux de ceux qui ont connu Amy. Ce dispositif permet d’éviter la lourdeur des interviews face caméra, qui font parfois du documentaire un genre rébarbatif. Ici, l’image est constamment en mouvement, et surtout l’intelligence de la superposition du son et de l’image crée des effets de sens, des connexions inattendues, des rencontres d’émotions qui nous permettent d’accéder à une vérité du personnage. Ainsi le tempérament dépressif de la chanteuse est-il mis en lumière dès l’enfance, cette période censément lumineuse où pourtant sa vie, déjà, semble aussi cassée que sa voix.

Asif-Kapadia-je-voulais-comprendre-qui-etait-Amy-Winehouse_portrait_w532-1

Asif Kapadia réussit un pari difficile : nous faire entrer dans l’intimité de la star sans faire ce qu’il reproche aux médias, qu’il met clairement en cause tant ils se sont acharnés à détruire l’icône. Cet équilibre fragile, il le tient jusqu’à la fin du film, dont le seul sujet n’est pas l’autodestruction d’Amy Winehouse. Il limite les scènes pathétiques (la seule présente la chanteuse totalement ivre et incapable de la moindre note dans un concert à Belgrade) et sait surtout faire entendre sa musique, et rendre grâce à son immense talent. Car le film donne lieu à l’exhumation de quantité d’archives musicales, de versions démo de ses chansons, de séquences où Amy compose, où l’artiste fait oublier la scandaleuse. La bande son de Amy est un régal musical. On voit la chanteuse tâtonner, poser ses notes sur ses mots, et on s’aperçoit alors de son talent littéraire, et de l’importance qu’avait pour elle l’écriture des textes.

L’une des dernières séquences du film, qui montre l’enregistrement de Body and soul en duo avec Tony Bennett, est bouleversante.  On y voit la star intimidée par le monstre sacré, et l’admiration du monstre sacré pour le talent de la belle. La très grande douceur de cet enregistrement montre Amy redevenue enfant, hésitante, gauche, ne parvenant pas à se hisser à la hauteur du géant, jusqu’à ce que, à force d’encouragements du crooner, elle parvienne à tisser sa voix avec la sienne, dans un entremêlement magnifique. Rien que pour ce moment de grâce, Amy fera date.

Jocelyn Maixent