Nina Wu : femme instrument

Nina Wu : femme instrument

Présentée dans la compétition un Certain Regard, Nina Wu est une de ces bonnes surprises que l’on attend spécialement du Festival de Cannes. Une critique politique sur la concupiscence des réalisateurs et producteurs de cinéma pour leurs actrices, dans lequel le réalisateur Midi Z décide de lever le voile sur un sujet sensible et ô combien actuel. Un film noir, souvent rouge, menant au syndrome de Stendhal pour certain.e.s, infligeant une bonne tape derrière la tête à d’autres.

Nina Wu est une modeste jeune femme de la campagne taïwanaise dont l’ambition absolue est de devenir actrice. Cantonnée à des rôles de figurante et des spots publicitaires, elle est aussi contrainte d’officier comme playmate en ligne. Dans ces appels vidéos groupés, elle se métamorphose pour correspondre aux fantasmes de ses clients, premier stigmate de la femme instrument. Un coup de téléphone de Mark, son agent, sonne le glas des petits boulots. Nina est retenue pour une audition, un long-métrage avec un rôle important à la clé. Se déploie alors un récit d’exploration, à l’image de la première scène et de son travellingavant tumultueux, où un train navigue dans de sinueux couloirs de métro. Cette séquence symbolise le voyage pénible et mouvementé, semé d’abus, que doit entreprendre une femme si elle se destine à l’industrie du cinéma. Elle image peut-être même la vie de ces jeunes femmes de campagne dont les ambitions débordantes constituent un atout de pouvoir notable pour leurs exploitants. Mais cela incarne surtout l’intériorité d’une Nina Wu menée à la baguette, ne voyant pas le bout du tunnel.

Voilà brièvement le parcours non consenti, aux allures de descente aux enfers, que Nina traversera seule : des auditions perverses et dégradantes où la dignité de l’actrice est sacrifiée sur l’autel de l’art. Un tournage dans des conditions chaotiques qui mettent à mal l’intégrité physique et la santé mentale de Nina. Un réalisateur violent, intransigeant et antipathique, et un producteur machiavélique pour lesquels les actrices sont des poupées modulables. Une conférence de presse avec des journalistes assoiffés de scoops potaches. Et une histoire d’amour lesbien impossible, conditionnée par les exigences familiales. Doté de propos extrêmement forts : l’instrumentalisation du corps de la femme, de sa liberté d’aimer, ou encore le prix exorbitant de la réussite à payer par une abnégation de soi sans limite, le film gagne en pertinence par sa réalisation, sa mise en scène, et son montage visuel comme sonore. Le scénario de Wu-Ke-xi est présenté de manière alambiquée avec un mélange de flashbacks, de cauchemars, de faits présents et d’extraits du film tourné, avec une subtile mise en abîme. Le spectateur se perd dans différentes réalités : le film qu’il regarde et celui dans lequel Nina joue, mais aussi dans le fort intérieur de Nina, traumatisée par les multiples humiliations subies. Difficile de démêler les confusions hallucinatoires de la vérité. Midi Z illustre magnifiquement bien cet élément de compréhension de son film par des scènes à l’esthétique léchée et à l’environnement sonore oppressant, faites de couloirs d’hôtel que Nina parcourt à la manière de ses plaies occultées

Au moment où l’on se dit que le film se joue peut-être un peu trop de nous, c’est la précision de son design sonore, la maîtrise de ses symboles, la rigueur de ses cadres et de ses mouvements de caméra qui achèvent de l’éclairer et le sublimer.

Après m’avoir passionné, choqué, perdu lors de sa projection au Festival de Cannes, je suis rentré à Paris avec l’idée de rapidement revoir ce film. C’est chose faite. Après deux visionnages en l’espace de deux semaines, la confirmation est là. Ce film d’une grande noirceur est bien l’un de mes coup de coeur cannois. Un grand merci à Midi Z et Wu-Ke-xi pour mettre en lumière certaines vérités du cinéma qu’une importante partie de l’industrie cinématographique ne cessent de restreindre aux autres milieux, s’oubliant soi-même.