Smartphone cinéma

 

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Ce n’est pas un bon film qui fait l’événement de la sélection « Un certain regard » ce 18 mai, mais une œuvre assez médiocre, Hermosa juventud (La belle jeunesse), de l’espagnol Jaime Rosales. Habitué à filmer l’échec à l’aide d’une esthétique de l’ennui qui atteint assez efficacement son but il faut bien le dire, Rosales s’attache ici à un jeune couple aux maigres ressources dans une Espagne en crise. Ambiance.

Sans perspectives, sans formation et sans travail, Natalia et Carlos ont 22 et 23 ans. Dans une Madrid triste à mourir (à croire que le soleil a à tout jamais déserté l’Espagne), les deux amoureux ne parviennent pas à s’en sortir, en vivotant chez leurs parents et en gagnant quelques euros sur les chantiers. Lorsque Natalia apprend qu’elle est enceinte, c’est une déflagration : l’arrivée du bébé risque de précipiter la chute du couple.

On se prend à rêver de ce qu’un cinéaste un peu formaliste, un peu brillant, aurait pu faire de cette atmosphère de loose intégrale, métaphore d’une jeunesse européenne qui subit la crise depuis 2008. Ce rêve, hélas, ne devient pas réalité : la réalisation est assez plate, les plans peu inventifs et souvent trop longs. Bref, pas grand chose à se mettre sous la dent.

La bande-annonce de Hermosa Juventud (Jaime Rosales)

En espagnol sous-titrée en anglais

Pourtant, deux séquences retiennent l’attention et sortent le spectateur à bout de force de sa léthargie. Deux séquences où l’écran de cinéma épouse les contours de celui d’un smartphone. Rien que pour ces deux moments, Hermosa juventud mérite l’intérêt : Rosales utilise très intelligemment les ressources de l’outil pour créer des rapprochements, des effets de sens, pour enjamber des ellipses et faire bifurquer son récit avec un art du raccourci extrêmement efficace. Ainsi, la naissance et les premiers mois de l’enfant sont racontés à travers un entremêlement de photos et de messages échangés ; ainsi, le séjour de Natalia en Allemagne, et la fin de ses illusions nous sont montrés de la même manière, légère, rapide et fine.

Cet îlot de réussite dans un film par ailleurs assez moyen fait question. Si l’œuvre nous paraît à ce point ennuyeuse alors que ces deux séquences déclenchent l’enthousiasme, est-ce l’indice d’un changement irréversible de notre propre regard ? Notre regard contemporain est-il désormais en phase avec l’impératif de vitesse et l’information multimodale incarnés par les smartphones, au point de ringardiser à ce point une narration classique ? On en vient à craindre que, sans le savoir peut-être, Rosales se soit tiré une balle dans le pied. Car réussir à ce point ces deux séquences, ce n’est peut-être pas une bonne nouvelle pour le cinéma. C’est en tout cas une sacrée remise en question de ses modes de narration. Jocelyn Maixent