Une expérience en langage des sourds

 

Depuis le grand succès de The Artist (Michel Hazanavicius) qui a ouvert à nouveau les portes au film muet, la question ne se pose de savoir si de nos jours, un film peut encore arriver à convaincre et à toucher ses spectateurs sans aucune parole. C’est tout à fait possible et The Tribe, réalisé par l’ukrainien Myroslav Slaboshpytskiy, en est une preuve.

Sans doute, le premier long-métrage de Slaboshpytskiy a quelque chose en commun avec The Artist : il arrive à faire passer une histoire sans aucun mot, mais il y a quelque chose qui distingue les deux films essentiellement. Même si The Tribe raconte une histoire sans paroles, le film utilise quand même un langage – celui de la communauté sourde. C’est pourquoi, au début, ce film semble à ceux qui ne savent pas communiquer en langage de signes comme un film en langue étrangère auquel il manque une pièce essentielle – les sous-titres ! Pendant plus de deux heures, pas un seule geste est « traduit » pour l’audience. Une expérience osée. Et réussie !

La première frustration face à l’échec du décryptage de la langue des signes disparaît très vite et le spectateur est plongé dans l’histoire d’un jeune ukrainien sourd, s’appelant Sergey (Grigoriy Fesenko). Il vient d’arriver dans un internat spécial pour des adolescents sourds et muets. Son premier challenge consiste à s’intégrer dans le groupe qui dirige tout l’internat. Ce gang se révèle très vite comme étant régi par « la loi du plus fort ». Celui qui n’accepte pas les règles, est chicané et agressé. Pour se faire accepter, Sergey vole dans des trains et aide à braquer un homme dans la rue. Pour pouvoir dormir dans son lit – dans la chambre de trois membres du gang – il doit se battre seul contre quatre d’entre eux et, surtout, obéir et suivre les instructions du chef et de ses amis.

Après plusieurs épreuves, Sergey arrive à s’intégrer dans l’équipe et prends la place d’un jeune homme qui accompagne les deux filles du gang pendant ses tours dans le parking des camions, où elles offrent leur corps pour de l’argent à des conducteurs. Sergey commence après une des séances nocturnes une relation avec une des deux filles, la blonde Anna (Yana Novikova), et tombe amoureux d’elle. Mais sa relation avec Anna déstabilise sa position au sein du groupe. Puisque le jeune homme ne veut plus qu’Anna se prostitue, il rompt avec les règles du gang et se fait agresser de plus en plus violemment par ses membres. Quand Sergey détruit le faux passeport avec lequel Anna voulait partir d’Ukraine, le gang lui montre brutalement qu’il est allé trop loin. Mais le zénith de violence est encore à l’approche…

The Tribe n’est pas seulement un film pour la communauté sourde et muette. Il illustre un phénomène qui se présente dans plein de contextes différents. C’est l’histoire de quelques personnes, qui se sentent abandonnées et qui ont crée leur propre univers avec leur propres règles. C’est un film plein de fureur et plein d’émotion qui éclate dans l’interaction des acteurs principaux. Même si les dialogues restent tout le film en langage sourd – et pour cela partiellement incompréhensibles – c’est l’interaction des personnes qui constitue l’histoire.

C’est d’un côté, le jeu exceptionnel des acteurs qui arrive à faire comprendre leurs sentiments et leurs peurs à l’audience. Et de l’autre côté, le fait que le film laisse de l’espace pour une forme de dialogue qui se produit dans l’imaginaire du spectateur. Il n’y a pas des mots pour comprendre les intentions, les pensées ou les souhaits des caractères, et c’est peut-être pour cela que l’on devient encore plus sensible aux gestes, aux mimes et aux petits détails de la mise en scène. En ajoutant dans l’imaginaire ce que les caractères auraient dit s’ils avaient été capables de parler, le spectateur arrive à remplacer le langage qui manque encore au début. L’intensité des gestes et le jeu des acteurs comblent le manque des paroles ; le film capte l’attention jusqu’à la dernière de ses 130 minutes. Ce n’est pas pour rien qu’il a gagné le Grand prix de la Semaine de la Critique.

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Klara Fröhlich