Burning : un thriller peu entrainant

En compétition officielle, Lee Chang-Dong revient à Cannes – lui qui n’avait pas foulé les marches depuis le 63ème Festival – avec Burning, un thriller dramatique sud-coréen. Adaptation de la nouvelle de Haruki Muraki, le film est une énigme à la fois prenante et lassante.

Joogsu est un jeune homme menant une vie modeste. Issu de la campagne, il travaille comme livreur en ville. Ses retrouvailles avec une ancienne voisine, Haemi, interrompt son quotidien. Le jeune homme développe des sentiments pour cette dernière qui part peu de temps après en voyage en Afrique. A son retour, Haemi lui présente Ben. Ben est riche, il conduit une porsche et a une troublante passion qu’il n’a jamais révélé à personne … Ce secret, il le partage avec Joogsu qui verra alors sa vie bouleversée.

Un rythme assez lent

La volonté du réalisateur de s’attarder sur chaque détail met, dès les premières minutes du film, le spectateur au courant de la suite. Burning ne sera pas un thriller haletant, enfin il est peu probable, et cette constatation s’avère juste par la suite. De nombreux plans larges de paysage appuyés par la longévité des prises s’interchangent constamment avec des plans rapprochés sur les personnages. Il en résulte des moments où le spectateur préfèrerait passer à une autre scène que de rester sur celle qui se déroule sous ses yeux. On en vient à se demander s’il s’agit d’un thriller ou d’un autre film poétique dont les coréens sont passés maîtres. Mais le manque d’action que l’on peut reprocher à Burning n’est pas que négatif. L’insinuation de certains passages qui résout les questions liées à l’intrigue s’adapte parfaitement à l’ambiance et à la manière dont le réalisateur a voulu raconter l’histoire. Les choses ne sont jamais explicites mais l’on arrive à se figurer ces dernières. Cette différence, il faut le reconnaître, distingue le film de ses paires qui parfois veulent trop en montrer, insinuer et lasse le spectateur. Il y a donc une raison à l’appréciation du film par les critiques internationales qui lui ont décerné cette année le prix FIPRESCI. Cependant, il existe aussi un juste milieu. A trop vouloir laisser le spectateur deviner, il le laisse sur sa fin, en tout cas c’est comme cela que cela s’est passé lors du visionnage du film. 

Des acteurs qui marquent 

Le film pose des questions de plus en plus récurrentes dans la société actuelle et notamment pour la jeunesse sud-coréenne d’aujourd’hui. Face à un pays où le culte de la richesse et de la réussite s’impose et où la jeunesse s’exile, Haemi et Jongsu incarnent cette absence de perspective d’avenir. L’actrice Jun Jong-Seo (Haemi) nous offre une performance bouleversante. Ses regards et ses gestes en disent plus long que tout dialogue. Nous comprenons sa lutte, cette recherche du bonheur, le fait de chercher sa place qu’elle n’arrive pas à trouver. Son partenaire, Yoo Ah-In (Jongsu) est tout aussi convaincant dans le rôle de ce jeune homme qui ne sait pas vraiment quoi faire de sa vie.
Ce film marque également le retour de Steven Yun, plus connu sous le nom de Glenn, personnage clé de la série à succès The Walking Dead. Le passage du petit au grand écran est une réussite pour l’acteur qui nous met dans un état de gêne constante avec ce jeune homme qui a tout pour lui et dont l’aura nous fait frissonner. Nous l’avons compris, ce Ben n’est pas ce qu’il paraît et plus on en apprend sur lui, plus cette idée se confirme.

Le film a de manière générale un sens. Il met en perspective les doutes de la jeunesse coréenne dans une société où trouver sa place en tant que jeune est difficile. Sauf que … S’appuyant sur un scénario énigmatique, Burning apparaît inégal dans sa construction. Avec des moments forts et une fin émouvante, il est tout du long un film où rien n’arrive ou du moins, tout se fait attendre.

Manon SB

Buy me a gun: une surprise mexicaine à la Quinzaine

La Quinzaine des réalisateurs nous émerveille chaque année. L’année dernière c’était avec Patti Cakes. Celle d’avant avec Divines et Ma vie de Courgette. Cette année, nous sommes tout aussi émerveillés.

Après avoir assisté à la première mondiale du nouveau Mamoru Hosoda, Mirai (riche en couleurs, en émotions et en fantaisies comme à son habitude), nous avons un découvert un talent mexicain : celui de Julio Hernandez Cordon. Dans son film présenté, Comprame un revolver (Buy me a gun), il raconte l’histoire d’un père et sa fille à une époque indéterminée, dans un Mexique contrôlé par les narcotrafiquants et en manque de femmes : elles sont chassées au propre sens du terme et kidnappées pour des raisons évidentes. Nous suivons donc la vie de Huck et son père. La petite fille, âgée de 6 ans, est enchaînée la plupart du temps pour éviter le kidnapping. Sans mère, la petite est élevée par son seul parent qui est exploité par des narcotrafiquants afin d’entretenir un terrain de baseball, sport préféré de ces derniers. La relation entre père et fille, centrale dans l’histoire, est tant fusionnelle pour eux qu’attachante pour nous. En tant que spectateur adulte, on s’imagine aisément à la place du père de la petite Huck. Comment survivre quand lorsque l’on est esclave, quand notre fille est convoitée par tous les hommes armés du pays et que l’on souhaite en même temps lui offrir une enfance correcte ? La situation difficile vécue par la famille est source de tensions, justifiées par une enfance tiraillée entre jeux d’enfants (oui, Huck s’amuse avec des garçons en gardant un masque) et survie essentielle. L’unique possibilité de lecture offerte par le récit nous plonge au plus profond de nous même, au coeur de notre conscience et réveille notre sens des responsabilités. On redoute ou on soutient les choix du père, on s’énerve ou on s’inquiète des réactions innocentes d’Huck. La petite est mature pour son âge, mais reste une enfant pleine d’imagination. On observe, on doute et on espère. Mais surtout, on sait. On sait que cette situation existe quelque part dans notre monde bien réel.

 

Kévin Pereira

WHITNEY : I would have danced with you !

«  I don’t want to hurt anymore » ou il est plus approprié ici de dire « to be hurt » résonne encore dans notre esprit alors que nous descendons les marches ce soir. Le documentaire Whitney est une réussite totale pour le réalisateur écossais Kevin MacDonald qui nous livre un portrait de la chanteuse poignant, mêlant documents d’archives et prises actuelles. Nous vous racontons.

Premiers plans sur ce visage si reconnaissable. Sa bouche, ses yeux, son rire si éclatant puis des coupures avec des images d’émeutes, de la violence faites à la communauté noire et de la jeunesse des années 70-80, de ces pubs qui nous font aujourd’hui sourire et de ces robes volantes. Enfin, la musique qui lie ces séquences – et quelle musique ! – qui nous prend aux tripes dès que la diva fait vibrer ses cordes vocales. Oui, nous sommes directement happés et nous rentrons dans cette histoire hors-norme. S’en suit deux heures durant lesquels nous passons du rire, aux larmes et découvrons un autre aspect de la chanteuse qui nous avait échappé, raconté de vive voix par ses proches.

« The Voice » 

Avec plus de 200 millions de ventes d’albums, et 13 disques de platine, Whitney Houston, décédée en 2012 à l’âge de 48 ans, est l’une des artistes les plus iconiques de ces cinquante dernières années. Née en 1963 à Newark ville du New Jersey, la carrière de celle qui se fera connaitre comme « The Voice » débute très tôt dans la chorale de son église. Se démarquant des autres grâce à sa beauté naturelle et sa voix en or, la jeune femme avait tout pour réussir dans le chant connaissant sa famille. Avec une mère, elle-même chanteuse et choriste de nombreux artistes, ses tantes et ses cousines, le don s’est encore transmis et à cette fois-ci dépassé tout entendement.

Un très bon mélange

Six ans après sa mort, l’hommage rendu à la chanteuse impacte par le choix du montage et le récit. Nous tentons de ne pas nous laisser porter par l’émotion, mais au fil de cette histoire si touchante et remplie de part d’ombres, nous en apprenons davantage sur la vie de Whitney Houston. Bien sûr, il y a la star mondiale mais aussi Nippy, la soeur, l’amie, la fille dont les proches qui la surnommaient ainsi nous livrent une facette plus intime, moins diva. Des révélations de ses frères sur son addiction à la cocaïne à la relation destructive qu’elle entretenait avec Bobby Brown, nous prenons conscience des drames qui n’ont cessé de jalonner la vie de la chanteuse et semblant s’abattre sur elle tel un destin tragique.

Malgré la réussite du réalisateur à éviter un énième documentaire copier-coller de la chanteuse, nous pouvons quand même noter un bémol. Le montage est certes rythmé et exhaustif, mais Whitney ne révolutionne pas son genre. De ce type il y a déjà eu Amy en 2015 ou encore Kurt Cobain: Montage of Heck la même année. Mais ce petit détail n’enlève rien à la grande claque que l’on reçoit au visage.  

 

Manon SB