Broken, devenir Adulte

Il faisait partie de la Semaine de la Critique au Festival de Cannes. Une sélection parallèle qui révèle chaque année quelques chefs-d’oeuvre. Malheureux étudiants que nous sommes, à Cannes nous avons du faire des choix et l’impasse sur certains films. Broken, de Rufus Norris, fait partie de ceux que nous n’aurons pas eu la chance de voir en avant-première mais qui mérite largement une place de choix sur Clap 8 ! Séance de rattrapage.

Cassure d’enfance

La perte d’innocence : on a beau tenter le passage en douceur, c’est parfois brutal et traumatisant. Souvent ce n’est pas un moment, mais une langueur faite «de moments tristes et de moments heureux » comme le père avocat, Archie, imagine la vie de sa fille d’une dizaine d’années, Skunk. Broken, c’est cette cassure entre enfance et brutalité du monde Adulte. La perte d’innocence d’une gamine de banlieue, Skunk Cunningham (Eloïse Laurence) qui va devoir faire face au tourbillon infernal de la vie. C’est est une enfant constamment étonnée et étonnante. Ni jolie, ni laide, un peu garçonne mais pas tant que ça. Une gamine intelligente, vivante, drôle, joueuse, avec pour seules contraintes de vie son diabète et un père relativement absent, mais très aimant. Sa plus grande crainte est encore la rentrée en classe de 6e et sa plus grande tristesse celle de ne plus pouvoir tutoyer son ami (Cillian Murphy), compagnon de sa nourrice à la fois mère et amie, devenu son professeur. Mais elle va vite tourner cette relation en jeu, seul moyen de contourner les vexations : si elle doit se plier aux règles du vouvoiement alors il faudra qu’elle aussi devienne  «Mademoiselle Cunningham», et non « Skunk » dorénavant ! La stratégie bien rôdée lui donnera le sourire, mais c’est tout. Parce qu’à 10 ans, on ne maîtrise rien. Jeux et bienveillance vont bientôt laisser place à des violences en chaîne, un tourbillon infernal engagé par un triste dérapage. La malsaine surprotection d’un père envers sa fille va entrainer une fausse accusation de viol, trois vies détruites et Skunk un pied dehors, un pied dedans, comme observateur fragile de la déchéance de son quartier. Elle n’est jamais au centre des violences mais toujours assez proche pour se sentir concernée. Jusqu’à ce qu’elle soit fatalement prise pour cible, elle aussi.

Comment lutter ?

Tim Roth embrasse le rôle d’Archie, le père de Skunk, irréprochable père de famille, ce qui ne donne que davantage de crédit à la thématique abordée par Rufus Norris. Comment prévenir la naturelle perte d’innocence ? Comment être honnête et protéger à la fois ? Faut-il inventer une explication logique à une suite d’évènements qui n’en n’a aucune, juste pour rassurer ? Relation fraternelle, amourette, décharge automobile et «repaire» sur terrain vague seront les refuges de Skunk. Mais bientôt, la réalité finira par tout lui dérober, même ces bouts d’amour et de divertissement. Elle contemplera incrédule un chemin pauvre, miteux, glauque au bout duquel elle devra faire un choix : le courage de la conscience ou la fuite. Eclairages et lieux de tournage donnent au film sa couleur de miel et sa dimension pop servie par une musique splendide, signée Damon Albarn, fondateur des groupes Blur et Gorillaz. Broken, c’est un petit bijou sensible et terriblement révélateur de la Vie qu’il faut s’empresser de découvrir.