« Quelques heures de Printemps »… avant la délivrance

C’est parfois difficile de parler aux gens que l’on aime. Difficile de faire le point sur les bonnes et mauvaises actions de sa vie, et de savoir que, de toute façon, on ne peut pas revenir en arrière. « Quelques heures de Printemps » est l’histoire d’une relation mère-fils dont on ne connait pas le passé mais qui est chargé, on le devine. Chacun chargé d’un fardeau et après plusieurs mois, ils se retrouvent : Yvette (Hélène Vincent) a un cancer, et a décidé de planifier sa mort. Alain (Vincent Lindon), le fils tout juste sorti de prison, retourne vivre chez sa mère pour tenter de se reconstruire.

Lien

Le loup dort derrière les repas silencieux, les regards qui s’évitent, les banalités du quotidien. Entre la mère et le fils, il y a un volcan qui menace à chaque seconde de s’activer. Ce qui les rassemblent : le chien d’Yvette, et son voisin Monsieur Lalouette (Olivier Perrier), deux êtres aimés par la mère et le fils. Vincent Lindon, c’est ce grand cœur qui souffre. Seule alternative : l’agressivité, les mots durs qui achèvent sa mère, elle qui ne saura jamais lui parler d’autre chose que de son manque de savoir-vivre et ses erreurs du passé. Alain ne sait pas parler non plus. Derrière leurs « caractères de con », la conscience d’avoir échouer.  Alors Alain se contentera d’accompagner sa mère au bout de la vie, parce que c’est déjà ça. Elle ne lui demande pas mais n’attend que ça. Il aura toujours ce regard triste, ni aimant, ni haineux, juste résigné. Ce n’est certainement pas lui qui pèsera sur les choix de vie de sa mère, il n’essaie même pas. Il sait juste qu’il doit être là. Non pas parce qu’il comprend, ou parce qu’il a oublié le passé, mais juste parce que c’est sa mère, et qu’il l’aime, incontestablement, tout comme elle l’aime. Le passé, aucun flash-back pathos et boiteux ne le fera découvrir  au spectateur. On ne rejoue pas les malheureux épisodes d’une vie de famille, on n’essaie pas de trouver des excuses. Stéphane Brizé a choisi le moment d’une vie, celui qui n’efface pas les blessures mais qui compte plus que tout à cet instant précis.

« Jusqu’à la dernière minute vous pouvez changer d’avis »

« Quelques heures de Printemps », c’est aussi un positionnement très affirmé sur l’euthanasie. Hélène doit aller en Suisse pour pouvoir mourir. Les personnes qui l’accompagnent dans sa démarche lui demandent à nouveau ses « motivations », la questionnent sur ses croyances, tentent d’ouvrir la brèche qui lui fera faire marche arrière : « Jusqu’à la dernière minute, vous pouvez changer d’avis » lui précise-t-on.  Mais si les sanglots d’Hélène traversent les murs de la chambre de son fils, elle est sûre de ses choix. Les magnifiques montagnes suisses sous l’œil de Stéphane Brizé, Vincent Lindon conduit alors sa mère vers la mort qui a belle allure. Ce n’est que dans les dernières secondes que mère et fils tomberont dans les bras l’un de l’autre pour une étreinte faite de tremblements et d’un ultime message d’amour. Le premier et le dernier.

Vieux

La population est vieillissante. On ne l’entend que trop. Il y a là pour les cinéastes une source d’inspiration qui a été largement récompensée à Cannes : « Quelques heures de Printemps » n’est en effet pas sans nous rappeler « Amour », la palme d’or 2012. Michael Haneke abordait les thèmes de la vieillesse et de la mort, avec des plans d’une simplicité déconcertante, ceux qui montrent la vie, et l’amour. Devant le film de Stéphane Brizé, armez-vous de mouchoirs et prenez cette claque déconcertante. Saluez le jeu si juste de Vincent Lindon et d’Hélène Vincent. L’acoustique parfaite des non-dits, de cet on-ne-sait-quoi qui brise la gorge et empêche l’amour de s’exprimer. Et dans un peu moins d’un mois, si vous avez aimé « Quelques heures de Printemps », ne manquez « Amour » sous aucun prétexte.

Broken, devenir Adulte

Il faisait partie de la Semaine de la Critique au Festival de Cannes. Une sélection parallèle qui révèle chaque année quelques chefs-d’oeuvre. Malheureux étudiants que nous sommes, à Cannes nous avons du faire des choix et l’impasse sur certains films. Broken, de Rufus Norris, fait partie de ceux que nous n’aurons pas eu la chance de voir en avant-première mais qui mérite largement une place de choix sur Clap 8 ! Séance de rattrapage.

Cassure d’enfance

La perte d’innocence : on a beau tenter le passage en douceur, c’est parfois brutal et traumatisant. Souvent ce n’est pas un moment, mais une langueur faite «de moments tristes et de moments heureux » comme le père avocat, Archie, imagine la vie de sa fille d’une dizaine d’années, Skunk. Broken, c’est cette cassure entre enfance et brutalité du monde Adulte. La perte d’innocence d’une gamine de banlieue, Skunk Cunningham (Eloïse Laurence) qui va devoir faire face au tourbillon infernal de la vie. C’est est une enfant constamment étonnée et étonnante. Ni jolie, ni laide, un peu garçonne mais pas tant que ça. Une gamine intelligente, vivante, drôle, joueuse, avec pour seules contraintes de vie son diabète et un père relativement absent, mais très aimant. Sa plus grande crainte est encore la rentrée en classe de 6e et sa plus grande tristesse celle de ne plus pouvoir tutoyer son ami (Cillian Murphy), compagnon de sa nourrice à la fois mère et amie, devenu son professeur. Mais elle va vite tourner cette relation en jeu, seul moyen de contourner les vexations : si elle doit se plier aux règles du vouvoiement alors il faudra qu’elle aussi devienne  «Mademoiselle Cunningham», et non « Skunk » dorénavant ! La stratégie bien rôdée lui donnera le sourire, mais c’est tout. Parce qu’à 10 ans, on ne maîtrise rien. Jeux et bienveillance vont bientôt laisser place à des violences en chaîne, un tourbillon infernal engagé par un triste dérapage. La malsaine surprotection d’un père envers sa fille va entrainer une fausse accusation de viol, trois vies détruites et Skunk un pied dehors, un pied dedans, comme observateur fragile de la déchéance de son quartier. Elle n’est jamais au centre des violences mais toujours assez proche pour se sentir concernée. Jusqu’à ce qu’elle soit fatalement prise pour cible, elle aussi.

Comment lutter ?

Tim Roth embrasse le rôle d’Archie, le père de Skunk, irréprochable père de famille, ce qui ne donne que davantage de crédit à la thématique abordée par Rufus Norris. Comment prévenir la naturelle perte d’innocence ? Comment être honnête et protéger à la fois ? Faut-il inventer une explication logique à une suite d’évènements qui n’en n’a aucune, juste pour rassurer ? Relation fraternelle, amourette, décharge automobile et «repaire» sur terrain vague seront les refuges de Skunk. Mais bientôt, la réalité finira par tout lui dérober, même ces bouts d’amour et de divertissement. Elle contemplera incrédule un chemin pauvre, miteux, glauque au bout duquel elle devra faire un choix : le courage de la conscience ou la fuite. Eclairages et lieux de tournage donnent au film sa couleur de miel et sa dimension pop servie par une musique splendide, signée Damon Albarn, fondateur des groupes Blur et Gorillaz. Broken, c’est un petit bijou sensible et terriblement révélateur de la Vie qu’il faut s’empresser de découvrir.

 

Courts métrages : nos coups de coeur

Comme nous l’avons déjà évoqué, le jury du festival a décidé de récompenser l’œuvre de L.Rezan Yesilbas pour son court-métrage Sessiz-be deng. Déception ? Oui, notre palmarès était tout autre !

Parmi les courts-métrages qui, selon nous, méritaient d’être récompensés :

 

YardBird de Michael Spiccia

Jusqu’ici réalisateur pour la publicité (notamment pour Publicis), Michael Spiccia se lance dans le cinéma et frappe un grand coup. Le rythme s’impose dès les premières images et l’immersion est instantanée. Au cœur du scénario, une jeune fille dont le prénom nous est tut, tout autant que sa voix, puisque aucun mot ne sortira de sa bouche au cours de ces 13 minutes. Son mutisme très parcimonieux renforce les traits tourmentés de ce personnage qui semble oppressé. Oppressée par la vie, oppressée par le personnage qui semble être son père, mais aussi oppressée par autre chose, quelque chose de supérieur et que nous percevons mal. Ce sixième sens, que semble posséder la fillette lui « offre » accès à la détresse des autres et l’empêche d’y rester indifférente. Mais comment pourrait-elle survivre à ce terrible et inhumain fardeau sans un appui, une force elle aussi surhumaine ? Un conseil, si son nez commence à saigner de façon impromptue, courez. Et vite.
Avec son rythme entraînant, ce court métrage nous tient en haleine du début à la fin et livre un spectacle charmant, notamment grâce à ses effets spéciaux particulièrement réussis. Bref, une reconversion réussie.

 

The Chair de Grainger David

Ce court-métrage, certains le détesteront à cause de la voix du jeune acteur Khari Lucas, qu’ils jugeront monotone tout au long du film, ou à cause d’une thématique reprise des grosses productions à l’américaine : une épidémie s’empare de la population et fait des ravages. Nous, on a adoré. The chair est original, poétique, et très esthétique. L’histoire progresse autour de la mort de la mère du jeune garçon, emporté par une moisissure empoisonnée, une épidémie dont on ne connaitra pas l’origine mais les conséquences sur la vie des gens. Et surtout, la souffrance silencieuse du garçon qui s’interroge sur la nature et sa suprématie sur l’homme, sur tout ce monde qui grouille sous terre et qui s’infiltre dans les corps humains. Les plans sont magnifiques, la voix platonique, à l’image d’un chaos inexplicable. La dernière scène : le fauteuil moisi brûle au bord de l’eau, devant le garçon et sa grand-mère qui espèrent que le geste symbolique anéantira l’épidémie. Enfin une production qui invite à l’humilité en imaginant l’épidémie à travers des yeux innocents, impuissants et non pas au travers de ceux qui parviendront à la combattre.

 

Chef de meute de Chloé Robichaud

Dans un tout autre style, le court métrage Chef de meute réalisé par Chloé Robichaud a su tirer son épingle du jeu. Préférant une trame humoristique à une thématique dramatique, ce film est une bouffée d’air frais, après une sélection traitant de sujets particulièrement durs. Trentenaire célibataire, Clara subit quotidiennement les moqueries de sa famille sur son statut de vieille fille. A la mort de sa tante, cette dernière se voit hériter du chien de la défunte. Le problème ? Clara, habituée à ne s’occuper que d’elle-même a du mal à supporter ce nouvel habitant qui vient chambouler sa vie. Dans ce film, qui joue sur l’opposition de ces personnages, la réalisatrice nous fait agréablement rire ! Les répliques fusent et les contextes familiaux nous rappellent des scènes quotidiennes de manière exagérée et décalée. Le tout est justement interprété, et l’accent québécois des acteurs, totalement irrésistible, participe au charme de ce joli court-métrage.

 

Josué, Aurélie  & Audrey

8h30 Chrono

Il ne faut pas se faire d’illusions ! Ne vouez pas votre confiance absolue aux images que vous pourriez voir de ci de là et qui dresseraient un tableau à forte sémantique vacancière. Et bien non, figurez-vous qu’être festivaliers, ce n’est pas de tout repos.

Petit jeu de vrai ou faux pour savoir ce qui fait une vraie journée de festivalier.

[learn_more caption= »La Grasse Mat’ « ]

FAUX !

Chaque matin, il faut être connecté à 8h30 pour s’inscrire aux séances qui nécessitent une invitation. Pour cela 3 solutions :

1. Au palais du festival, connexion sur les bornes libre-accès.

Public : Levés à 7h pour être fins près à l’heure fatidique…Eux ils sont vraiment motivés.

2. Dans la salle du petit dej’ de l’hotel, connexion sur PC ou sur les applications mobiles.

Public : Les réveils respectifs s’échelonnent entre 7h30 et 8h28. A tendance un peu geek, ce public se lève plus ou moins tard selon son niveau sur l’échelle du geek.

3. Dans le lit, aucune connexion avec l’extérieur, finition des rêves et du capital sommeil.

Public : No stress, il reste les séances avec badges !  [/learn_more]

[learn_more caption= »Se coucher tôt « ]

FAUX !

Le couvre feu, ce n’est pas pour nous. Le retour au bercail pour le feuilleton du soir, encore moins. Habituellement, le pourtant bien mérité repos, se fait longuement désirer. A l’heure où le reste de la France se sustante de leur intellectuelle série de début de soirée, à Clap8, la part belle est faite à la douche, au smoking ou à la robe de soirée, au noeud papillon ou au maquillage en prévision de la projection de 22h30.
Montée des marches, projection, debriefing avec nos chers professeurs, after pour fêter le succès du film (ou oublier son existence, au choix), le programme est bien trop chargé pour envisager rejoindre les bras de Morphée avant 3h voire 4h du matin. Le tout, dans l’attente d’un réveil qui respecte les règles de la partie précédente, of course !
[/learn_more]

[learn_more caption= »Plus de batterie  « ]

VRAI !

Il est évident qu’en bons étudiants d’InfoComm’, nous sommes équipés en tant que tels ! Nos smartphones en bons compagnons de poche, nous arrosons abondamment les réseaux sociaux de récits illustrés de nos aventures provençales au plus grand désespoir de nos « followers ». Inconvénient majeur : cette utilisation intensive provoque la fonte comme neige au soleil de la batterie de nos bijous de technologie. Du coup, pour éviter de devoir survivre de 18h à à 1h du matin sans téléphone, ce qui reviendrait à nous amputer de cette extension de cerveau, nous développons de nouvelles parades sur mesure. Première solution de base, recharger son téléphone toutes les nuits et ne le débrancher qu’en quittant la chambre. Seconde solution : toujours avoir son chargeur sur soi et squatter un café entre deux séances pour recharger. Solution d’ultime détresse : ETEINDRE son téléphone pendant les séances ! Mais ça c’est vraiment en cas de force majeure.
[/learn_more]

[learn_more caption= »Prendre un verre avec les profs « ]

VRAI !

Il est minuit, Clap8 se laisse porter par la calme et délibérante foule pour quitter le Théâtre Louis Lumière. Mais le festival ne serait pas LE festival si le retour à la case hôtel était immédiat. Après tout, nous sommes à Cannes ! Alors l’objectif numéro un : retrouver nos profs qui nous attendent à la sortie pour aller savourer un Mojito au Grand Hôtel ou au Martinez en debriefant le film. Normal non ?
[/learn_more]

Voilà, j’espère que vous voyez un peu mieux en quoi consistaient nos belles et sportives journées cannoises !

The Central Park Five : Wilding ?

 

.. Burns est bien évidemment passionné par les droits civils, et il attribue la condamnation du Central Park et l’hystérie entourant le crime, au racisme de la société systématique et généralisée

Auteur du monumental « The Civil war », le documentariste Ken Burns vient de réaliser avec sa fille Sarah Burns (auteur du livre de cette affaire) et David McMahon, « The Central Park five », relatant une terrible erreur d’affaire judiciaire situé à New York en 1989, qui a bouleversé toute l’Amérique à peine sortie du combat contre la ségrégation. La vie et l’entourage de plus précisément, cinq jeunes de 14 à 16 ans, vont être renversés. Réputé grâce à ses documentaires « La guerre civile » ou « La Guerre », l’Américain Ken Burns relate à travers ce film documentaire un combat inéquitable, celui qui oppose le système judiciaire américain à cinq jeunes adolescents noirs et hispaniques, accusés à tort du viol d’une joggeuse à Central Park en 1989, c’est alors que l’on comprend que Ken Burns a abordé en globalité, l’histoire des Etats-Unis sous l’angle de la « race ».  En deux heures denses, le réalisateur retrace les différentes étapes de cette effroyable erreur judiciaire. Les analyses ADN ont beau disculper les accusés les jeunes adolescents, ils seront tout de même condamnés et emprisonnés. Et même les aveux du véritable coupable, quelques années plus tard, ne suffiront pas à faire changer d’avis quelques journalistes aveuglés par leurs préjugés. De nombreux intervenants, des archives éclairantes, pas d’effet superflu : tel est le choix de Ken Burns, qui a co-réalisé ce The Central Park Five (présenté à Cannes en Séance spéciale : « Un certain regard »). Une sobriété du traitement qui n’empêche pas l’émotion. C’est le talent des bons documentaristes de savoir trouver le cinéma, de créer l’information dans le réel. Les réalisateurs ont bénéficiés des services de récits de chaque adolescents qui ont aujourd’hui la trentaine  et qui dessinent leur portraits extraordinairement précis d’eux-mêmes, qui évoquent aussi bien ce qu’était la vie d’un jeune d’Harlem.

Tant d’indignation dans le traitement de ces jeunes new-yorkais, en particulier lors du verdict de la justice, où je ne vous cacherai pas, ont coulé des larmes de colère.

 

 

Paradise Liebe – Ulrich Seidl

Ce n’est pas tant l’exotisme des décors que Teresa et ses amies viennent chercher lors de leurs vacances au Kenya que celui des hommes. Ulrich Seidl dénonce dans Paradise Liebe le commerce sexuel et les clichés ravageurs dont font preuve les occidentales entre deux âges qui viennent ici dans le seul but de s’offrir un peu de plaisir. Mais ça ne prends pas, la visée n’est pas affirmée et la litanie de stéréotypes racistes finit par lasser, de même que ces images continuelles de nudités, jeunes corps noirs bien faits contre chair blanches flasques. On se demande quel est l’intérêt de cette exhibition et quelle part réelle elle apporte au film. Le scénario est léger, la construction hasardeuse. C’est dommage car l’idée de montrer la réalité nue, la misère sociale, la solitude, l’angoisse des corps vieillissants, qu’on ne regarde plus, d’entendre la voix triste de ces femmes qui ne s’appartiennent plus et qui cherchent – au delà des caresses sur leurs rondeurs – un regard sur elles, qui les ferait exister – cette idée là est forte mais mal exploitée. On retient néanmoins quelques scènes : la délimitation sur la plage entre les clientes occidentales et la ligne immobile des vendeurs noirs qui attendent qu’elles franchissent la petite barrière pour les aborder, image évidente du fossé qui sépare ces deux univers si éloignés ; le rire éclatant de Inge Maux alias Teresa qui l’embellit soudain et laisse percer, un instant, la femme tendre derrière ses airs cynique de néocolonialiste assumée ; la mer, l’horizon, qui s’étendent et qu’on ne peut toucher, à l’image du sentiment que Térésa cherche à tout prix dans le lit des hommes noirs ; sentiment qu’elle ne trouve finalement jamais.

The Angels’ Share

A Glasgow, Robbie, jeune père de famille est sans cesse rattrapé par son passé de délinquant, lorsqu’il croise la route d’Henri, éducateur dans le cadre de ses travaux d’intérêt général. Ce dernier initiera en secret Robbie et la petite bande de délinquants qui l’accompagne, à l’art du Whisky. Robbie se découvre alors un don. Va-t-il le transformer en arnaque ou en un avenir plein de promesses ?

Ken Loach revient avec une jolie comédie douce-amère, toujours soucieux d’exposer les réalités sociales. Il nous parle avec son humour anglais d’une jeunesse écossaise qui se cherche, se rebelle, et se trouve. Au travers d’un « Roi Arthur’ des temps modernes, en quête de son Saint Graal et entouré de ses chevaliers, Ken Loach réussit enfin à nous faire rire, au milieu d’une sélection cannoise assez dure. Et si The Angels’ Share restera un film mineure de sa filmographie, le réalisateur britannique remporte son pari d’aborder ce thème sensible avec légèreté et s’impose comme l’un des réalisateurs majeurs de Grande Bretagne. C’est en tout cas l’avis de Nanni Moretti et son équipe, qui décident de récompenser le film par le Prix du Jury. Cheers !

« Hemingway & Gellhorn », de Philip Kaufman, sélection déception

A la lecture du synopsis du film présenté en compétition, on s’attend à un récit passionnant retraçant l’histoire d’amour entre deux monuments de l’écriture.  On est au regret de penser qu’Ernest Hemingway et Martha Gellhorn, incarnés par Clive Owen et la splendide Nicole Kidman se sont certainement retournés dans leur tombe. Martha Gellhorn, écrivain, magnifique blonde en quête de réussite professionnelle rencontre le déjà célèbre Ernest Hemingway en 1936. Il faudra peu de temps pour que l’histoire d’amour prévisible commence, entre le maître qui brutalise son élève pour révéler le génie qui est en elle, et l’élève qui tombe éperdument amoureuse de celui qui sera à l’origine de son émancipation personnelle et professionnelle. Cela aurait pu être passionnant : c’est niais et ennuyeux.  Les dialogues sont inconsistants, les amants vivent entre passion, excès et fausse bravoure, le tout ponctué de scènes de sexe improbables… dont une, particulièrement absurde : le couple, dans une étreinte passionnée cadencée par le chaos extérieur (la guerre civile en Espagne, premier terrain de Martha Gellhorn), est touché par une bombe largué sur leur hôtel… on aurait pu croire qu’ « Hem », le beau colosse, aurait perdu tout son entrain pour la belle correspondante de guerre, mais c’est la poussière qui devient leur terrain de jeu, au lit comme au travail! Déchaînement dehors, déchaînement dedans, la caméra nous offre de haut en bas la jambe sans fin de Nicole Kidman, enduite de poussière blanche et objets des douces caresses de Clive Owen, que rien ne semble pouvoir arrêter ! Même pas mal…

Si la comédie s’était arrêtée là, on aurait certainement accordé le faux pas à Philip Kaufman mais ce film est une imposture incarnée en grande partie par le personnage de Gellhorn, prisonnière d’un rôle qui ne lui va pas, reporter de guerre féministe prête à sauver le monde et parcourant l’Espagne en guerre civile, la Chine, dont elle ne peut laisser périr les pauvres petits enfants au travail, la Finlande, présentée comme une terre glaciale sur laquelle tente de survivre la jolie blonde, bravant le froid, se lançant dans une correspondance par lettres enflammées – qui font tomber un peu plus le film dans le pathos – et luttant contre son envie de rentrer à Cuba pour retrouver Hemingway… voilà une heure que le film a commencé, on se dit que définitivement ça ne décollera jamais, les deux acteurs sont cantonnés à leurs rôles de piètres amoureux transis qui finiront par se déchirer à cause de la passion dévorante et très peu convaincante de Gellhorn pour le reportage de guerre. On aura évidemment compris la métaphore de la guerre sur laquelle est basée le film : la guerre qui déchire le monde et qui finira par déchirer ceux qui en sont les témoins et ne cessent de le répéter, ce qui, une fois encore, enfonce le clou du cliché. Les deux acolytes n’ont qu’un but dans la vie : sauver le pauvre Monde de ses horreurs. On alourdi le tout d’images des camps de la morts qui anéantiront notre pauvre journaliste… et titilleront la sensibilité du public : joli coup marketing.

Philip Kaufman aura tenté le tout pour le tout, et peu importe de mélanger idéalisation du métier de reporter de guerre, sensiblerie, mélodrame : les scènes de guerre prennent l’aspect d’archives dans lesquelles apparaît Nicole Kidman comme une fleur, en noir et blanc ou sépia, selon l’humeur, et dont le but est très flou… Une chose est sûre : Teint gris ou poupée pour l’actrice, ce film est une erreur de sélection. Il se clôture par la folie d’Hemingway qui s’autodétruit tandis que Gellhorn repart en mission à l’étranger après avoir passé un bref coup de fil à sa rédaction. Mais bien sûr le sac à dos était déjà fait, et elle s’en va fièrement en guerre… Ecran noir, enfin.

« 7 días en la Habana », l’échappée cubaine

Réalisé par Benicio del Toro, Pablo Trapero, Julio Medem, Elia Suleiman, Gaspar Noé, Juan Carlos Tabio et Laurent Cantet. Ils sont argentin, palestinien, cubain, espagnol, et français. Et pour la sélection cannoise « Un certain regard » ils font le tour de la Havane en une semaine, pour notre plus grand plaisir. 

C’est une interprétation festive, colorée et savoureuse de la Havane que ces six réalisateurs nous propose avec « 7 días en la Habana ». Au départ, ces hommes sont réunis autour d’un même constat : Cuba, c’est une culture de chaque jour, entre une fièvre de la fête pour les jeunes qui bravent leur manque de liberté, l’importance de la famille, et un rayonnement bien au-delà de ce qu’on aurait pu imaginer pour une petite île démunie et sous dictature.

« 7 días en la Habana » repose sur l’originalité suivante : Du lundi au dimanche, un jour est une histoire à la Havane. La clé du succès de ces sept films en un se trouve dans le genre éclectique : on passe du sketch mettant en scène un jeune acteur américain qui se rend à la Havane et découvre les joies de la vie familiale et nocturne à Cuba qui offre bien des surprises, à une fête familiale en l’honneur de la vierge Marie (le dimanche, comme il se doit !), en passant par le désensorcellement d’une jeune femme, sous l’emprise de ses parents, après qu’elle ait fini sa soirée entre amis dans les bras d’une autre femme… « 7 días en la Habana » dresse un panorama de la cité du Che et du cigarillo très imaginatif, drôle, décalé, parfois déroutant. Sans tomber dans le cliché, ce film enchante par l’humour à 360 degrés, la tragédie d’un amour impossible dont le jeu est volontairement excessif, incarné par la belle Cristela de la Caridad Herrera. Les sept parcours s’entrecroisent finalement et apportent au film sa valeur ajoutée : on découvre que la chanteuse, égérie d’un mercredi cubain, et promise à la célébrité à l’étranger est la fille du couple mis en scène le samedi, entre un père vénéré mais alcoolique et une mère adorée mais excessive… ce qui rend le film plein d’humour et de dérision, alors que Cécilia était au cœur d’un scénario amour-tragique 3 jours plus tôt ! Et puis il y a deux hommes perdus dans la pagaille de la ville, entre Emir Kusturica, le célèbre réalisateur serbe,  ivre mort et materné par une équipe d’attachées de presse qui le prépare à recevoir son prix pour le festival de cinéma à la Havane, et Elia Suleiman, réalisateur-acteur dans un rôle de visiteur diplomatique hébété,  qui ne dit pas un mot,  perdu dans sa chambre d’hôtel et dans une ville trop grande, trop festive, grouillant de jeunes femmes sulfureuses et d’hommes qui en redemandent, tournant au rhum cubain… Il préfèrera s’enfermer dans sa chambre pour écouter en boucle les discours de Fidel Castro. La scène est si pathétique que la salle du soixantième sur la Croisette laisse échapper un rire franc et incontrôlé à chaque fois que le poste s’allume pour parler à la place de notre homme au chapeau, muet comme une carpe et impassible. Bref, un pur moment de plaisir servi par un format original et des points de vue différents sur l’humanité cubaine… A savourer, dans l’idéal, avec un bon mojito !

De rouille et d’os – Jacques Audiard

La thématique était périlleuse : une jeune femme accidentée, le handicap, un type un peu paumé qui vient s’installer chez sa sœur au bord de la mer et qui traîne son gamin, l’inévitable histoire d’amour ; deux estropiés en quête d’attention, le mélo typique, en somme. C’était sans compter sur la patte incroyable d’Audiard.

Avant l’histoire d’amour, c’est une histoire de rencontres qui nous est montrée. Une histoire de confrontations ; ce sont des vies qui s’entrechoquent, des corps qui se heurtent, c’est la masse imposante, étouffante de l’orque qui nous écrase de son immensité et qui ôte ses jambes à Stéphanie. C’est cet enfant qui quête le regard de son père et qui n’en tire qu’un agacement non dissimulé, ce sont ces gestes maladroits, cette façon d’être en décalage. C’est l’âpreté de l’existence, la vie brute, sans artifice.

Caméra à l’épaule, Jacques Audiard filme le mouvement et à travers lui, la lumière. Un éclat ténu mais permanent ; le réalisateur joue avec les ombres et même quand ses personnages semblent fixer l’obscurité, la lumière est là, elle résiste, comme le symbole d’une fougue prête à exploser. On retrouve cette fébrilité chez Ali (Matthias Schoenaerts) et Stéphanie (Marion Cotillard). Ils ont en commun une sensibilité à fleur de peau, qui s’exprime par le combat chez lui – ce besoin irrépressible de se lever, de cogner, de courir – et par la réappropriation de son corps à elle, dans la nage, la rééducation, dans les bouffées d’impuissance, dans les cris.  Audiard filme au plus près des visages et des corps, les rendant fragiles et imparfaits.

Plus que jamais, le corps est mis en exergue ; le sexe est filmé nu, on pénètre dans l’intimité sans pudeur mais avec retenue, les corps s’enroulent, se lient. Audiard ne cache pas l’infirmité, il la montre brute, les moignons bien apparents mais il n’y a pas de malaise, il n’y a que la sensualité ébouriffante de Marion Cotillard et le regard de Matthias Schoenaerts sur elle. Son regard d’homme sur un corps de femme, comme une évidence. Point de handicap quand il s’agit de faire l’amour, juste la rencontre ; et le plaisir.

Audiard n’embellit pas la vie, il ne tombe pas dans le superflu. Il choisit de faire l’économie des mots ; tout passe par l’image, par les expressions sur les visages abîmés des personnages – tout aussi bien les secondaires que les héros, d’ailleurs. Le bruit de la bande son n’est pas nettoyé et la vie s’infiltre partout, tout le temps. En exergue, en arrière-plan, dans le cadre mais aussi hors champ et c’est ça qui provoque l’émotion. L’alternance entre silences et bruits. Entre immobilisme et mouvement. Quand Stéphanie retourne se baigner pour la première  fois après l’accident et sort de l’eau sur les épaules d’Ali, elle a la chair de poule, les larmes aux yeux. On sent dans cette femme qui s’abandonne la fatigue physique de la nageuse, mais aussi la satisfaction inestimable de la redécouverte d’un plaisir qu’elle croyait oublié ; une émotion exacerbée par une Marion Cotillard solaire.

C’est un film vrai, entier et pourtant tout en subtilité, un film où l’émotion n’est pas facile mais bien présente. Un film de qualité, à peine terni par la tirade de Stéphanie sur la délicatesse – trop mièvre – et la scène finale, consensuelle, qui entraîne Audiard dans la sensiblerie qu’il avait jusqu’à alors merveilleusement évitée.

Mais ces exceptions sont infimes et le réalisateur sait nous conter une histoire d’humanité et d’humilité sans tomber dans le lyrisme. Une histoire de vie qui frappe et caresse dans le même temps. Et face à cette vie si infiniment fragile et douloureuse, il y a le regard de l’enfant, qui scrute le monde ; deux grands yeux qui brillent de curiosité, d’insolence, de désir. D’amour. Et sur son visage, irradiante, la lumière.