C’est un pré immense au milieu duquel se rejoignent une pré-ado aux yeux charbonneux et un jeune garçon dont le duvet ombre très légèrement la lèvre supérieure, pipe en bouche. Ils ont douze ans en cette fin d’été 1965 ; elle, laisse ses parents avocats et trois petits frères, lui, fuit le camp scout dans lequel il passe ses vacances ; c’est le temps de l´amour, le temps des copains et de l’aventure, chante Françoise Hardy. De l’aventure, il n’en manque pas dans cette expédition loufoque à travers laquelle Wes Anderson nous offre à voir des personnages consciencieux mais qui – pour autant – ne se prennent pas au sérieux.
Dans ce conte à l’atmosphère délicieusement sixties – des costumes aux accessoires, aucun détail n’a été laissé au hasard – les enfants mènent le jeu comme des grands ; ainsi une guerre sans pitié entre le fugitif scout et ses anciens camarades ou une relation de vieux couple entretenue par les protagonistes en chaussettes montantes/culottes courtes. On est pourtant loin de la cruauté de Sa Majesté des Mouches de Golding, ici l’humour est pince-sans-rire, la tendresse omniprésente. On retrouve dans l’amour que se portent Sam et Suzy, la poésie que Buten prêtait à Gil et Jessica. Cela donne presque envie d’avoir douze ans, de poser un disque de Françoise Hardy sur la platine et de danser sans retenue sur la plage. En face, les adultes font figure d’enfants turbulents.
Et puis… et puis, l’ouragan, la digue qui lâche, le rythme change imperceptiblement, la tension monte et l’austère Assistance Publique vient chercher Sam, lui promettant un bien sombre avenir ; il semble que tout parte à vau-l’eau, plus rien n’est maîtrisé sinon le Cuckoo de Benjamin Britten en fond sonore, qui tranche admirablement avec l’atmosphère de fin du monde.
Dans Moonrise Kingdom, Wes Anderson crée un paradoxe intéressant entre une esthétique qui confine au maniérisme – des travellings latéraux, une photographie léchée, un rythme orchestré à merveille par une bande originale de qualité – et l’univers déjanté dans lequel évoluent ses héros. Finalement, il n’y a de linéaire que la caméra, les émotions, elles, partent en tous sens. A la façon des impressionnistes, Anderson réussit à inviter la fougue dans une image d’apparence immobile et le résultat est épatant.
Il ne pouvait y avoir film plus approprié pour débuter le Festival de Cannes. Moonrise Kingdom insuffle un élan, une ardeur et s’il préfigure les quelques jours que nous passerons là-bas il me semble que ça ouvre une porte à tous les possibles.