Les mendiants en smoking

Le must-have ici, ce n’est ni la robe de 3km ni les escarpins de 13cm, mais bien l’accréditation avec photo d’identité de 5cm. On se pense invincible en déambulant fièrement avec notre badge autour du cou, poussant les portes de toutes les salles possibles et assurant aux hôtes qui contrôlent les accès que « oui, oui, nous sommes bien journalistes ».

Des ailes nous poussent dans le dos quand, devant les yeux de tous (des touristes quoi), nous faisons la queue pour rentrer dans le palais, à deux pas de Dominique Frot, aka la proviseure dans la série SODA, ou, plus classe, pour regarder un film à deux rangs de sièges de Daniel Cohn-Bendit. Mais la réalité peut vite faire redescendre un égo proche du « je vous emmerde, je suis une star ».

L’accréditation orange est loin d’être la meilleure pour pouvoir prétendre d’être quelqu’un d’important. Sans invitation ni badge de couleur violet ou blanc, vous vous mélangez vite à la foule de personnes voulant accéder aux projections du Théâtre Lumière, les plus prestigieuses avec leur célèbre montée des marches. Tellement célèbre qu’elle donne un spectacle des plus improbables pour nous, débutants dans ce monde de paillettes : une ligne de mendiants en smoking.

Quand j’utilise le mot mendiant n’y voyez surtout pas une insulte, nous avons affaire ici aux personnes les plus astucieuses pour dégoter les meilleures places qui ne seront pas utilisées. Accrédités ou non, tous ceux qui tiennent leurs affichettes pendant des fois des heures se mélangent et mendient en cœur pour vivre un moment fort dans leur vie. J’ai voulu à multiples reprises les rejoindre (non pas que je suis lassée des sélections parallèles mais il faut bien faire des jaloux) mais mes camarades de Paris 8 n’étaient pas les plus bouillants à cette idée. Je compte dorénavant sur le culot de mon acolyte Julia, qui a déjà fait ses preuves.

Juline et Julia.

La Cannes à pêche #1

Parce que Cannes est un nid de looks plus improbables les uns que les autres, nous voulons –  nous parisiens devenus cannois en l’espace de trois jours – vous partager la crème de la crème, la cerise sur le gâteau (à la crème), les personnes les plus stylées de la croisette selon l’équipe. Exit la robe plumeau, la veste poil de poussin, nous laissons ça aux rubriques FLOP des magazines de mode. Ici, que du lourd, attention les yeux : ça brille. La pêche aux looks a été bonne.

Comprendre le Festival de Cannes en 3 minutes

Petit récapitulatif de Cannes, son principe et son histoire pour celles et ceux qui chaque année sont perdus face à toute l’agitation culturelle que représente ce festival de cinéma.

Le Festival de Cannes est le festival de cinéma le plus médiatisé au monde, récompensant une poignée de films parmi une large sélection établie par un jury de professionnels. Chaque année pendant douze jours, le monde tourne autour de cet événement qui met en avant jeunes talents comme légendes du cinéma, robes comme smokings, le tout sur des marches tapies de rouge (pour l’instant je ne vous apprends rien).

Il est né d’une envie de consolider la culture française mais surtout de créer une compétition internationale de films indépendante politiquement, face à une jeune sélection internationale italienne – la Mostra de Venise – qui œuvre sous la pression d’un gouvernement fasciste. Pour l’anecdote, la première édition du festival cannois aurait dû avoir lieu le 1er septembre 1939 mais a été annulée suite à l’invasion des troupes allemandes en Pologne. La première réelle édition n’aura lieu qu’en 1946 dans l’ancien casino de Cannes, sous l’impulsion du Ministère des affaires étrangères et de la ville.

Indépendant politiquement, c’est un festival qui se veut engagé, avec des films qui font parfois scandale comme le documentaire Nuit et Brouillard d’Alain Resnais, retiré de la sélection officielle de 1957 et classé hors compétition à la demande de l’ambassade d’Allemagne ; la critique de la société de consommation dans La Grande Bouffe de Marco Ferreri (1973) huée lors de sa présentation ; ou plus récemment le très controversé Irréversible de Gaspar Noé (2002). A noter également le Festival de Cannes de 1968 où les grands noms du cinéma (François Truffaut, Jean-Luc Godard, Claude Lelouch pour ne citer qu’eux) s’étaient mêlés au mouvement étudiant, ce qui avait interrompu le déroulement du festival.

Image prise lors du festival de cannes 1968 où des réalisateurs emblématiques avaient soutenu la cause étudiante.

Un méli-mélo de sélections

Lors de ses douze jours de gloire, le Festival de Cannes est une véritable fourmilière. Avec l’ampleur qu’il a su prendre durant toutes ces années, il compte dorénavant plusieurs sélections : la sélection officielle comprenant les films en compétition, ceux hors-compétition et la sélection parallèle d’un certain regard, qui récompense des réalisateurs peu connus et audacieux.

La Quinzaine des réalisateurs est également une sélection parallèle mais indépendante du festival, qui chaque année prône une liberté dans les choix de films, voulant être « sans contraintes idéologiques ni techniques et représentative des cinémas du monde ». Comme la Quinzaine, la Cinéfondation est une sélection annexe, qui met en avant de nouveaux talents. Chaque année, elle sélectionne de quinze à vingt courts et moyens métrages présentés par des écoles de cinéma de tous pays.

Mais alors parmi toutes ses sélections, quels sont les films éligibles aux prix les plus prestigieux comme la Palme d’Or ou le Grand Prix ? Ce seront seulement la vingtaine de films en compétition qui pourront être récompensés lors de la cérémonie de clôture par la majorité des prix décernés à Cannes. Cependant, les autres sélections ont chacune un unique prix à décerner, pour récompenser des films qui n’auraient peut-être pas eu leur chance en sélection officielle.

Un peu moins perdu ? Si vous voulez creuser un peu plus dans les détails, on vous conseille de vous renseigner sur ceux qui tâchent d’organiser ce grand festival cinématographique chaque année, les réalisateurs de l’édition 2018, les scénarios des films présentés… Et bien sûr voir notre présentation du jury 2018 !

Godard, façon puzzle

Jean-Luc Godard détesterait sans doute ce titre, tant tout le sépare du dialoguiste des Tontons flingueurs. Avec son dernier film, le moins que l’on puisse dire est que l’écart se creuse. Pape de la Nouvelle vague, attaché à l’histoire du Festival de Cannes dont il contribua à fusiller l’édition 68 et dont un photogramme de Pierrot le fou fournit aujourd’hui la sublime affiche, Godard présente en compétition Le livre d’image, un dernier opus crépusculaire, lucide et quasi testamentaire.

Alors que Film socialisme, présenté en 2010, nous avait laissé perplexes, Godard est ici à son meilleur. Evidemment, Le livre d’image ne fera pas un grand succès en salles, mais qu’importe : l’histoire du cinéma emprunte d’autres chemins. Car le film présente la quintessence de la dernière période du cinéma de Godard (on est loin de « Tu les aimes mes fesses ? »), un cinéma abondamment réflexif, méditatif, philosophique, réfléchissant au plus juste sur les rapports entre l’image et ce qu’elle représente. Car non, le titre n’est pas une faute d’orthographe : « image » est bien au singulier, comme pour signifier qu’il s’agit de réfléchir à l’image en général, en tant que matériau, objet, dispositif, et non « aux images ». Dans ce film court (1h20), ciselé, incroyablement discontinu, Godard livre en plusieurs chapitres quelques leçons essentielles sur ce que l’image dit des hommes, d’une civilisation qui s’éteint, d’une Europe qui meurt (on pense parfois à la chanson « L’Europe » de Noir désir).

Le livre d’image est extrêmement sombre, dont le cœur du propos tourne autour de la violence, de la violence perpétrée et de la violence montrée. C’est au spectateur d’assembler les pièces disséminées du puzzle, de faire le rapport entre les extraits de films de cinéma et les vidéos de Daesh. Dans ce grand fourre-tout qui échappe pourtant au bordel, Godard dresse le portrait de notre culture visuelle devenue totalement protéiforme, mélangeant pour décrire les comportements humains les archives, le cinéma, la télévision, les images de téléphone mobile. Le livre d’image est un collage, un film difficile car il mobilise sans cesse l’intelligence et la vigilance du spectateur, en interrogeant la façon dont se fabrique sa mémoire visuelle, passant sans cesse de la réalité à l’imaginaire. Un peu comme les collages surréalistes de Tzara, le film laissera dubitatifs ceux qui résisteront à se laisser embarquer.

Comment fixer la forme d’un tel ovni ? En ne la fixant pas, justement. « Ceci est un film », c’est notre seule certitude. Un objet à mi-chemin entre le cinéma et l’art contemporain, une sorte d’essai filmique dont l’atomisation formelle répond à coup sûr à l’atomisation du monde dont elle est le signe. A la fin du parcours, Godard convoque Brecht dont il cite une réflexion sur le fragment : pour le dramaturge, le fragment était ce qui se rapproche le plus du geste de la création. S’essayer à la forme brève, au collage, à la discontinuité, c’est faire de la pensée et de l’image des explosantes fixes. Ironie de l’histoire : Le livre d’image est projeté à Cannes le jour où s’éteint Gérard Genette, figure indépassable de la narratologie. A sa manière, Godard lui fait un clin d’œil.

La rédaction

Time’s Up et #MaintenantOnAgit bientôt au festival de Cannes 2018 ?

Le scandale qu’a causé l’affaire Weinstein en octobre dernier a bouleversé le déroulement des cérémonies de remises de prix dans le monde du cinéma. Actrices et personnalités se sont mobilisées pour dénoncer les violences faites aux femmes. Retour sur les différents mouvements qui ont marqué 2018.

 

La création du collectif Time’s up

Plus de 300 personnalités ont lancé peu avant la cérémonie des Golden Globes le mouvement Time’s Up (littéralement le temps est écoulé) en solidarité avec les victimes d’agressions sexuelles et de harcèlement. Il s’inscrit dans la lignée du mouvement #MeToo, créé juste après les révélations du New York Times sur les actes du producteur Harvey Weinstein, et visant plus largement à la libération de la parole des femmes de tous milieux.

Actrices et personnalités, toutes vêtues de noir, pour dénoncer les violences faites aux femmes avec le mouvement Time’s up. Crédits : Valerie Macon/AFP/Getty Images

C’est ainsi que la plupart des acteur.rice.s arboraient une tenue complètement noire et des badges Time’s up sur le tapis rouge des Golden Globes le 7 janvier dernier. Une « déclaration solidaire » pour l’actrice Claire Foy, à l’affiche de la série The Crown.

Les spectateurs retiendront également le discours de la présentatrice Oprah Winfrey qui a clamé devant un public debout que « depuis trop longtemps, les femmes n’ont pas été entendues ou crues si elles osaient dire la vérité face au pouvoir de ces hommes. Mais c’est fini pour eux ! C’est fini pour eux [« Time’s up » le nom du mouvement] ».

Sabo et le scénario de Three Billboards

Le street-artist Sabo, connu pour être provocateur, a repris le scénario du film nominé aux Oscars Three Billboards Outside Ebbing, Missouri et recouvert plusieurs panneaux publicitaires d’Hollywood qui faisaient la promotion des Oscars.

Un des trois panneaux créés par l’artiste Sabo lors des oscars, où il est écrit « Et l’oscar pour le plus gros pédophile revient à… ». Crédits : The Hollywood Reporter

Il a remplacé les affiches par des messages inspirés du film, mais qui cette fois attaquaient directement l’industrie du cinéma, notamment à propos des accusations de pédophilie et de violences sexuelles de certaines personnes phares de la cérémonie. Des messages chocs pour dénoncer la lenteur des poursuites judiciaires malgré les nombreuses révélations faites par la presse.

#MaintenantOnAgit

Inspiré par le mouvement Time’s up lors de la cérémonie des Golden Globes, le monde du cinéma français a lui aussi voulu dénoncer les violences faites aux femmes, à sa manière. C’est lors de la cérémonie très française des Césars qu’une centaine d’actrices et de personnalités ont lancé un appel aux dons avec comme mot d’ordre « Maintenant on agit », principalement sous la forme d’un hashtag.

Pour cette opération, l’Académie des Césars s’est associée à la Fondation des femmes pour proposer un ruban blanc aux invités, afin de pouvoir montrer leur soutien à la cause. L’objectif de la collecte de fonds est fixé à un million d’euros, un premier bilan pourra être effectué lors du Festival de Cannes.

Ces mouvements vont continuer à prendre de l’ampleur, puisque pour beaucoup ce n’est que le début. Avec la portée internationale du Festival de Cannes, spectateurs et invités peuvent s’attendre à un double mouvement, qui allierait #MaintenantOnAgit à Time’s up et #MeToo, voire à la création d’un nouveau mouvement féministe. A côté de cela, selon Les Echos, deux sociétés californiennes ont d’ores et déjà acquis les droits qui leur permettront de faire un film sur la génèse du mouvement #MeToo.