Everybody knows… même le spectateur !

everybody-knows
everybody-knows
Image du film Everybody Knows, ouverture du 71e Festival de Cannes.

Ne nous cachons pas derrière notre Croisette. Le premier film de cette sélection cannoise est assez raté. On comprend bien l’intérêt du Festival à convoquer Penelope Cruz et Javier Bardem pour une inédite montée des marches (Laurent Weil, à toi de jouer), mais le film d’Asghar Fahradi aurait plutôt eu sa place hors compétition.

Comme le disait le regretté Pierre Desproges, on reconnaît le véritable ami à sa capacité à vous décevoir. Asghar Fahradi est incontestablement un grand cinéaste de son temps et, même si sa carrière s’était arrêtée à Une séparation ou au Client, il aurait déjà plus donné au monde que la plupart des forces vives de cette planète. La déception est d’autant plus amère. Car Fahradi est un auteur, un vrai, qui semble cette fois s’être fourvoyé dans une production qui l’a dépassé. L’oscar en poche, se sont ouvertes pour le cinéaste iranien les portes du « cinéma international de qualité ». Ainsi Fahradi tourne-t-il en Espagne un film sans grande âme mais avec un cast premium. Soyons clairs : il y perd son style, sa spécificité, son identité.

Plus de deux heures durant, il nous fournit une sorte de world pudding susceptible de plaire à tout le monde, avec la vision d’une Espagne touristique bien sous tout rapport à laquelle Pedro Almodovar, présent au générique, a semble-t-il apporté son concours. Tout y est, le bon vin des bonnes vignes, les couchers de soleil sur les collines, le jamon serrano finement coupé. Evidemment tout tourne autour de la famille, parce que la famille chez les Espagnols… Alors que Farhadi avait su travailler en profondeur les tiraillements de la société iranienne, son cinéma perd toute saveur dans cette extraterritorialité qui ne paraît être là que pour rendre son cinéma populaire, international, « starifiable ». Résultat : Everybody knows est… oubliable.

Passons sur le jeu d’acteurs médiocre (Bardem est presque aussi mauvais que chez Sean Penn), c’est surtout à un film délavé que nous avons affaire. Woody Allen lui aussi, en 2008, était tombé dans le même travers avec Vicky, Cristina, Barcelona… Une Espagne de carte postale qui avait englouti toute la saveur du cinéma allenien. Au casting à l’époque… Cruz et Bardem déjà ! Malédiction.
Le pire dans tout cela, c’est sans doute le scénario. Il n’y aura dans ce texte aucun spoil, puisque le spectateur lui-même, à force d’allusions et de clins d’œil scénaristiques, s’auto-spoilera vite et connaîtra le pot-aux-roses au bout d’une demie heure. Sans surprise donc, le film se déroule comme on l’a prévu. Et on finit par ne plus trop se soucier de cette histoire larmoyante dans laquelle même le très grand Ricardo Darin est à côté de plaque.

Restent les belles images, une certaine tension narrative, des seconds rôles intéressants, et une très belle première séquence. En dehors de cela, Everybody knows relève de la brochure touristique. On ne peut que conseiller à Farhadi d’entrer dans l’agence de voyage et d’acheter un vol retour pour Téhéran.

La rédaction