Une photo de famille, et puis plus rien…

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Cannes affectionne la figure de l’acteur-passé-à-la-mise-en-scène. C’est une figure classique du cinéma, qui réussit à certains (George Clooney, Mathieu Amalric), moins à d’autres (Sean Penn, Guillaume Canet), mais qui dit combien la mise en scène doit démanger ceux qui ont coutume d’être dirigés. Ce grand saut, Paul Dano (Little miss sunshine, There will be blood, Youth) vient de le tenter. Il présente Wildlife à la Semaine de la critique, réputée la sélection la plus exigeante du Festival de Cannes.

 

Image du film Wildlife

C’est avec une humilité presque de petit garçon que Paul Dano, l’une des coqueluches d’Hollywood, a présenté son premier film (qui peut lui faire prétendre à la Caméra d’or). Une voix un peu fluette, quelques hésitations, et une absence totale d’assurance : le comédien aux allures d’adolescent fait sa mue devant les spectateurs de l’espace Miramar. L’acteur fait place au cinéaste. A pas feutrés. Dano, pourtant, réussit son pari. Car Wildlife n’a rien d’un film prétexte censé consacrer un « acteur qui serait plus qu’un acteur ». C’est un vrai film de cinéma, une vraie mise en scène qui va chercher ses références du côté d’Edward Hopper ou de Todd Haynes, une vraie identité visuelle. Une vraie douleur aussi.

La grande réussite du film, dont le pitch simplissime se résume à l’explosion d’une famille américaine moyenne dans le Montana des sixties, tient dans son parti pris scénaristique : utiliser le personnage du fils, Joe, comme pivot de l’histoire. Dano choisit la focalisation sur l’adolescent pour montrer comment les déchirements de ses parents vont faire de lui ce qu’il deviendra. Ainsi, nous regardons Joe regarder. Nous le voyons assister, souvent impuissant, aux errances de sa mère et à l’absence de son père. Nous voyons son regard enregistrer, comme un spectateur, le drame familial en train de se jouer, comme si Joe, qui apprend la photographie, apprenait aussi à filmer la vie.

Car Joe sera un homme d’images et de sons, comme nous le montre la très belle scène finale. Un portrait de famille d’après les fêlures. Le drame a eu lieu, mais tout le monde sourit. Un portrait de famille, et puis plus rien… Le clic de l’appareil photo, c’est à la fois la fin du film et le début de la vocation de Joe. Il sera regardeur. Comment ne pas voir, dès lors, la ressemblance troublante entre l’acteur choisi pour jouer Joe, Ed Oxenbould, et Paul Dano lui-même ? « Joe Brinson, c’est moi », pourrait dire Dano pour parodier Flaubert. Le devenir cinéaste, chez Dano, paraît lié aux blessures de l’enfance.

Dans Youth de Paolo Sorrentino (2015), Paul Dano joue le rôle d’un comédien abonné aux rôles de super-héros, et qui voudrait qu’on le reconnaisse comme un auteur. Séquence prémonitoire. Trois ans plus tard, un auteur est né.

La rédaction