La soirée de clôture de la Quinzaine des Réalisateurs comme si vous y étiez !

L'affiche officielle de la Quinzaine des réalisateurs - 2012

Sorties de la Villa Inrocks, grisées par de délicieux cocktails aux couleurs multiples, nous nous dirigeons vers la Croisette. Il est 23h, la Villa Inrocks ferme ses portes, l’alcool vient à manquer. Contre toute attente, la Villa Inrocks n’est pas à la hauteur de sa réputation : ambiance familiale, bandes d’adolescents, mauvaise bière ; malgré un groupe présent et volontaire, l’ambiance ne décolle pas. Seuls le cadre et les mélanges vodka/vitamine water rattrapent l’ensemble.

Ayant en notre possession un pass de la Plage Orange, la suite de la soirée s’annonce pétillante… mais la désillusion ne se fait pas attendre, l’entrée nous est refusée. Nous errons comme des âmes en peine sur la Croisette, en quête de la soirée qui saura nous mettre des paillettes dans les yeux. Soudain, nos corps suivent le rythme d’une musique attrayante : sous le chapiteau de la plage de la Quinzaine, l’ambiance bat son plein. Une lumière violette, une foule déchainée et une file d’attente interminable qui se masse devant l’entrée très sélective : c’est la soirée de clôture de la Quinzaine des Réalisateurs, The plage to be ce soir là.

Un peu hébétées et naïves, nous ne savons pas quelle attitude adopter : se donner de la contenance ou passer notre chemin. Nous observons les aspirants à l’entrée, leurs comportements, leurs mines dépitées devant le refus continuel des videurs. Il semble évident que l’invitation est la condition sine qua non à l’accès tant désiré. Il nous la faut ! Nous sommes dépassées par quelques groupes d’élus, ayant le fameux sésame-ouvre-toi. Parmi eux, se trouve Brandon, un jeune homme affable et joyeux que Marie N. alpague sans détour. Euphorique de la victoire de Aqui y alla de Antonio Mendez Esparza – que ses amis et lui co-produisent – au grand prix de la Semaine de la critique,  il se porte rapidement garant de notre entrée.

Brandon ne ment jamais : quelques minutes plus tard et quelques mètres plus bas, nous dansons, une coupe de champagne à la main.

Nous sommes entrées à la soirée de clôture de la Quinzaine des réalisateurs !

Ici, les looks sont affirmés, les attitudes aussi. Nous sommes au cœur du petit monde du cinéma. Autour de nous : trois bars, une grande plage, un DJ, des fauteuils, du monde, du monde, du monde et du beau monde – nous reconnaissons Clotilde Hesme, premier rôle du film Trois Mondes de Catherine Corsini. La musique est entraînante, l’ambiance au top, et bien sûr champagne à volonté ! C’est impressionnant comme le contact s’établit facilement à l’intérieur, alors qu’à l’extérieur…

Les barrières tombent, nous dansons et discutons naturellement, nous nous mélangeons sans le savoir à des acteurs, producteurs, réalisateurs…

Quand nous ressortons, ivres de joie, de danse, de champagne, nous avons l’impression de faire partie de ce milieu privilégié, tout est à portée de main, les portes s’ouvrent devant nous, nous nous voyons déjà l’année prochaine écumer les plages de la Croisette, prendre une chambre au Martinez. Avec balcon. Avec vue sur la mer. Avec Léonardo. Avec Brad. Avec Johnny…

En gros, on s’est enflammées.

 

Marie Ravet, Marie Nguyen Phu Qui, Tiana Ranaivoson

« POST TENEBRAS LUX » : OSÉ/RECOMPENSÉ

Tenebras, le mot le plus long du titre, souvent manqué par les spectateurs, représente parfaitement l’état d’esprit, le goût ressenti pendant la projection du film..

Post Tenebras Lux (« Après les ténèbres, la lumière ») est un film OSÉ, c’est bien la thèse que je soutiens depuis le début. Synopsis : une petite famille (à deux enfants) habitant quelque part à la campagne au Mexique autour de laquelle on envisage toutes les ténèbres d’une génération : commençant  par des problèmes au niveau local (cauchemars des enfants, crises de violence, alcoolisme, soucis de mariage) et continuant par des problèmes au niveau global (destruction des forêts, maladies incurables, MST).

Loin d’être inclus parmi les films de la journée en cause (haut standard étant imposé par « Paperboy » et « 7 Días en la Habana »), Post… pose des problématiques dignes d’une vraie polémique cannoise.

Pour disséquer cette polémique, nous allons comparer les points négatifs et positifs de ce film, pour que vous soyez prêts à ce qui vous attend, et  que vous preniez le recul nécessaire pour regarder le film en entier sans se sentir perdu ou vexé.

D’abord il faut savoir que le choix du cadrage est assez spécial, l’écran prend une forme carrée, avec un effet pseudo-fisheye (un cercle focalisé qui rend les marges floutées, le passage se faisant en doublant l’image). Le scénario est surchargé d’idées et de symboles de manière que pour un débutant en cinéma le sujet devient presque incompréhensible. Cette stupeur de la part du spectateur pourrait être expliquée par deux raisons : d’un côté le film est une semi-autobiographie du réalisateur ou bien les liaisons entre les trois histoires remarquées par les changement de personnages qui sont mal liées. Parallèlement à l’histoire de famille on retrouve des scènes avec un pseudo-diable luisant qui vient déranger le sommeil du petit garçon, des rêves de la petite fille et, finalement,  entraînement d’une équipe de football scolaire anglaise.

Or, ce film n’a pas que des défauts. Le story-board en combinaison avec la direction de la photographie donnent des scènes qui coupent carrément le souffle : au début, les premières minutes du film constituant le rêve de la petite fille (qui se trouve sur un champ ouvert et est entouré par des animaux qui circulent sous un ciel menaçant) font surgir les mémoires d’enfance du spectateur et offrent un spectacle absolument merveilleux. Il y a aussi des scènes comparables au cinéma symboliste comme, par exemple, la mère entouré de ces enfants qui semble à la fois religieuse mais aussi bourgeoise. Par ailleurs, les idées infiltrées dans ce film, même s’il y en a trop peut-être, sont pas à ignorer : l’écologie (une scène époustouflante d’un arbre en pleine gloire en train d’être coupé), et la fin apothéotique d’une scène avec une catharsis sanglant qu’on vous laissera découvrir.

Possiblement le film le moins bien reçu à Cannes, mais chacun à son goût, on ne peut pas nier que le réalisateur(Carlos Reygadas) n’a été ni plus ni moins …qu’osé.

 

 

GUETTO PLAYA

 

Le Festival de Cannes c’est surtout la hiérarchie du badge, si t’en as pas, t’es un pauv’ type. Heureusement le Festival a pensé à toi, pauvre petit cinéphile sans badge, tu vas pouvoir participer à la magie du cinéma grâce aux séances sur la plage tous les soirs à 21h30 et accessibles au grand public. Pas d’exclusivité ( ça c’est seulement pour les badgés ) ici ce ne sont que des grands classiques : James Bond, Les Dents de la mer etc. Mais ça te permettra toujours d’occuper tes soirées plutôt que de prendre en photo les badgés qui montent les 24 marches tant désirées.

On redécouvre ces grands classiques avec délectation, les pieds dans le sable mais le festival nous offre une jolie surprise avec une soirée spécialement dédiée à des courts-métrage de jeunes réalisateurs du collectif Banlieuz’art. Parce que oui, le cinéma de la plage, c’est le guetto du festival.

Mais ne te fais pas d’illusions, ici la sélection naturelle fait loi. Les badgés sont installés dans des transats, chauffés par des plaids et toi, tu dois lutter pour ta survie et défendre ton petit carré de sable face à tes semblables non-badgés.

Bon film !

 

Lucie Miel, Sylvain Ducharne, Marion Clavière.

L’inadaptable « On the road » ?

 « Les seules personnes qui m’intéressent sont les fous furieux, les furieux de la vie, qui veulent tout à la fois, ceux qui bâillent jamais, qui sont incapable de dire des banalités, mais qui flambent, flambent, flambent, comme des cierges dans la nuit.. »

Le tant attendu Walter Salles tient-il ses promesses en s’attaquant à l’adaptation du grand classique de Jack Kerouac, « Sur la Route » ? La réponse de Clap 8 est clairement non !

Sur la route du festival, nous étions pourtant impatients de découvrir les aventures de Sal Paradise (Sam Riley), Dean Moriarty (Garrett Hedlund) et Marylou (Kristen Stewart) dans l’Amérique des années 1950, partis à la conquête du monde. Sal Paradise, qui vient de perdre son père et Dean Moriarty, ex-tolard sont deux personnages marginaux à la recherche d’une vie de fous furieux, à l’opposé d’une routine sévère.

Ce film est tout sauf fou furieux et se révèle même long et ennuyant. Les scènes trash, la drogue, les partouses entre amis ne rendent pas plus intéressant le film et n’enrichit pas l’intrigue. Palme d’Or pour l’apparition de Kristen Dunst. L’actrice avait pourtant remporté l’année précédente le prix de la meilleure interprétation pour le film « Melancholia » et se retrouve relayée au rang de la nouvelle femme inutile  du nymphomane et dérangé Dean Moriarty.

Après Coppola, propriétaire des droits du livre, on assiste à l’échec de Walter Salles. Sur la route serait-il inadaptable ? Qui sera le prochain à se casser les dents sur l’adaptation d’un livre ? Une chose est sûre, l’adaptation de livre en film pour dissimuler le manque de créativité a le vent en poupe…

‘Dans la brume’, une lente contemplation de la guerre.

Sergei Loznitsa, réalisateur Russe exilé depuis longtemps en Allemagne, nous livre ici son deuxième film de fiction. Lui qui fut souvent reconnu comme un artiste expérimental dans ses documentaires.

1942, La Biélorussie comme décor. Temps noir pour un pays sous suspicion de résistance contre l’envahisseur allemand. Dans ce contexte une lutte tente tout de même de se mettre en place. Les heures sombres d’un pays meurtri qui change.

Un homme accusé de collaboration est emmené par deux résistants dans une foret pour y être exécuté. Ce film est un long chemin de croix pour un personnage qui se résigne à son sort alors qu’il ne le mérite pas. Lui possède toujours une morale inébranlable en des temps où celle-ci n’existe plus vraiment. La cruauté d’un système barbare est mis en exergue et la lenteur de la narration nous fait réfléchir sur la longue acceptation de ce système contre lequel chacun devrait lutter. Loznitsa ne nous dépeint pas seulement cette procession funèbre mais beaucoup plus largement il nous montre l’humanité qui vacille en périodes difficiles. Parsemé de flash-backs nous expliquant pourquoi ces personnages en sont arrivés là, ce film est une rigoureuse reconstitution historique. Les longs plans séquences construisant le film nous mettent à rude épreuve durant 2h07 (c’est le moins que l’on puisse dire), pourtant cette forme narrative souligne la vérité du propos. Un pays en guerre n’est plus le même, les hommes ne sont plus les mêmes.

Après la projection l’ovation dura de longues minutes durant lesquels l’équipe du film pu ressentir l’accueil très chaleureux des festivaliers. A en juger par celui-ci voilà un sérieux candidat pour la palme d’or.

« Hemingway & Gellhorn », de Philip Kaufman, sélection déception

A la lecture du synopsis du film présenté en compétition, on s’attend à un récit passionnant retraçant l’histoire d’amour entre deux monuments de l’écriture.  On est au regret de penser qu’Ernest Hemingway et Martha Gellhorn, incarnés par Clive Owen et la splendide Nicole Kidman se sont certainement retournés dans leur tombe. Martha Gellhorn, écrivain, magnifique blonde en quête de réussite professionnelle rencontre le déjà célèbre Ernest Hemingway en 1936. Il faudra peu de temps pour que l’histoire d’amour prévisible commence, entre le maître qui brutalise son élève pour révéler le génie qui est en elle, et l’élève qui tombe éperdument amoureuse de celui qui sera à l’origine de son émancipation personnelle et professionnelle. Cela aurait pu être passionnant : c’est niais et ennuyeux.  Les dialogues sont inconsistants, les amants vivent entre passion, excès et fausse bravoure, le tout ponctué de scènes de sexe improbables… dont une, particulièrement absurde : le couple, dans une étreinte passionnée cadencée par le chaos extérieur (la guerre civile en Espagne, premier terrain de Martha Gellhorn), est touché par une bombe largué sur leur hôtel… on aurait pu croire qu’ « Hem », le beau colosse, aurait perdu tout son entrain pour la belle correspondante de guerre, mais c’est la poussière qui devient leur terrain de jeu, au lit comme au travail! Déchaînement dehors, déchaînement dedans, la caméra nous offre de haut en bas la jambe sans fin de Nicole Kidman, enduite de poussière blanche et objets des douces caresses de Clive Owen, que rien ne semble pouvoir arrêter ! Même pas mal…

Si la comédie s’était arrêtée là, on aurait certainement accordé le faux pas à Philip Kaufman mais ce film est une imposture incarnée en grande partie par le personnage de Gellhorn, prisonnière d’un rôle qui ne lui va pas, reporter de guerre féministe prête à sauver le monde et parcourant l’Espagne en guerre civile, la Chine, dont elle ne peut laisser périr les pauvres petits enfants au travail, la Finlande, présentée comme une terre glaciale sur laquelle tente de survivre la jolie blonde, bravant le froid, se lançant dans une correspondance par lettres enflammées – qui font tomber un peu plus le film dans le pathos – et luttant contre son envie de rentrer à Cuba pour retrouver Hemingway… voilà une heure que le film a commencé, on se dit que définitivement ça ne décollera jamais, les deux acteurs sont cantonnés à leurs rôles de piètres amoureux transis qui finiront par se déchirer à cause de la passion dévorante et très peu convaincante de Gellhorn pour le reportage de guerre. On aura évidemment compris la métaphore de la guerre sur laquelle est basée le film : la guerre qui déchire le monde et qui finira par déchirer ceux qui en sont les témoins et ne cessent de le répéter, ce qui, une fois encore, enfonce le clou du cliché. Les deux acolytes n’ont qu’un but dans la vie : sauver le pauvre Monde de ses horreurs. On alourdi le tout d’images des camps de la morts qui anéantiront notre pauvre journaliste… et titilleront la sensibilité du public : joli coup marketing.

Philip Kaufman aura tenté le tout pour le tout, et peu importe de mélanger idéalisation du métier de reporter de guerre, sensiblerie, mélodrame : les scènes de guerre prennent l’aspect d’archives dans lesquelles apparaît Nicole Kidman comme une fleur, en noir et blanc ou sépia, selon l’humeur, et dont le but est très flou… Une chose est sûre : Teint gris ou poupée pour l’actrice, ce film est une erreur de sélection. Il se clôture par la folie d’Hemingway qui s’autodétruit tandis que Gellhorn repart en mission à l’étranger après avoir passé un bref coup de fil à sa rédaction. Mais bien sûr le sac à dos était déjà fait, et elle s’en va fièrement en guerre… Ecran noir, enfin.

« 7 días en la Habana », l’échappée cubaine

Réalisé par Benicio del Toro, Pablo Trapero, Julio Medem, Elia Suleiman, Gaspar Noé, Juan Carlos Tabio et Laurent Cantet. Ils sont argentin, palestinien, cubain, espagnol, et français. Et pour la sélection cannoise « Un certain regard » ils font le tour de la Havane en une semaine, pour notre plus grand plaisir. 

C’est une interprétation festive, colorée et savoureuse de la Havane que ces six réalisateurs nous propose avec « 7 días en la Habana ». Au départ, ces hommes sont réunis autour d’un même constat : Cuba, c’est une culture de chaque jour, entre une fièvre de la fête pour les jeunes qui bravent leur manque de liberté, l’importance de la famille, et un rayonnement bien au-delà de ce qu’on aurait pu imaginer pour une petite île démunie et sous dictature.

« 7 días en la Habana » repose sur l’originalité suivante : Du lundi au dimanche, un jour est une histoire à la Havane. La clé du succès de ces sept films en un se trouve dans le genre éclectique : on passe du sketch mettant en scène un jeune acteur américain qui se rend à la Havane et découvre les joies de la vie familiale et nocturne à Cuba qui offre bien des surprises, à une fête familiale en l’honneur de la vierge Marie (le dimanche, comme il se doit !), en passant par le désensorcellement d’une jeune femme, sous l’emprise de ses parents, après qu’elle ait fini sa soirée entre amis dans les bras d’une autre femme… « 7 días en la Habana » dresse un panorama de la cité du Che et du cigarillo très imaginatif, drôle, décalé, parfois déroutant. Sans tomber dans le cliché, ce film enchante par l’humour à 360 degrés, la tragédie d’un amour impossible dont le jeu est volontairement excessif, incarné par la belle Cristela de la Caridad Herrera. Les sept parcours s’entrecroisent finalement et apportent au film sa valeur ajoutée : on découvre que la chanteuse, égérie d’un mercredi cubain, et promise à la célébrité à l’étranger est la fille du couple mis en scène le samedi, entre un père vénéré mais alcoolique et une mère adorée mais excessive… ce qui rend le film plein d’humour et de dérision, alors que Cécilia était au cœur d’un scénario amour-tragique 3 jours plus tôt ! Et puis il y a deux hommes perdus dans la pagaille de la ville, entre Emir Kusturica, le célèbre réalisateur serbe,  ivre mort et materné par une équipe d’attachées de presse qui le prépare à recevoir son prix pour le festival de cinéma à la Havane, et Elia Suleiman, réalisateur-acteur dans un rôle de visiteur diplomatique hébété,  qui ne dit pas un mot,  perdu dans sa chambre d’hôtel et dans une ville trop grande, trop festive, grouillant de jeunes femmes sulfureuses et d’hommes qui en redemandent, tournant au rhum cubain… Il préfèrera s’enfermer dans sa chambre pour écouter en boucle les discours de Fidel Castro. La scène est si pathétique que la salle du soixantième sur la Croisette laisse échapper un rire franc et incontrôlé à chaque fois que le poste s’allume pour parler à la place de notre homme au chapeau, muet comme une carpe et impassible. Bref, un pur moment de plaisir servi par un format original et des points de vue différents sur l’humanité cubaine… A savourer, dans l’idéal, avec un bon mojito !

Clap8, c’est maintenant !

Nous y voilà, mercredi, 7h45, Paris – Gare de Lyon.
Cet instant T est au coeur de nos discussions, de nos rêves, de notre quotidien depuis plusieurs mois, mais voilà que nous pouvons contextualiser cette image mentale que nous avons depuis tout ce temps. Lui associer une image réelle, une ambiance sonore, lui donner vie tout simplement.

Cette aventure ne nous permet-elle pas d’envisager les sensations qui habitent un réalisateur lorsque le « bébé » qu’il choie jour et nuit depuis plusieurs lunes ? De comprendre ce que ressent ce maestro qui enfin parvient à faire exprimer à un tiers les émotions qu’il contient en lui ?
Si toutefois c’est bien le cas, je comprend que ce rôle soit l’un des plus grisants que puisse offrir notre bonne vieille Terre à un des ses petits habitants.

De rouille et d’os – Jacques Audiard

La thématique était périlleuse : une jeune femme accidentée, le handicap, un type un peu paumé qui vient s’installer chez sa sœur au bord de la mer et qui traîne son gamin, l’inévitable histoire d’amour ; deux estropiés en quête d’attention, le mélo typique, en somme. C’était sans compter sur la patte incroyable d’Audiard.

Avant l’histoire d’amour, c’est une histoire de rencontres qui nous est montrée. Une histoire de confrontations ; ce sont des vies qui s’entrechoquent, des corps qui se heurtent, c’est la masse imposante, étouffante de l’orque qui nous écrase de son immensité et qui ôte ses jambes à Stéphanie. C’est cet enfant qui quête le regard de son père et qui n’en tire qu’un agacement non dissimulé, ce sont ces gestes maladroits, cette façon d’être en décalage. C’est l’âpreté de l’existence, la vie brute, sans artifice.

Caméra à l’épaule, Jacques Audiard filme le mouvement et à travers lui, la lumière. Un éclat ténu mais permanent ; le réalisateur joue avec les ombres et même quand ses personnages semblent fixer l’obscurité, la lumière est là, elle résiste, comme le symbole d’une fougue prête à exploser. On retrouve cette fébrilité chez Ali (Matthias Schoenaerts) et Stéphanie (Marion Cotillard). Ils ont en commun une sensibilité à fleur de peau, qui s’exprime par le combat chez lui – ce besoin irrépressible de se lever, de cogner, de courir – et par la réappropriation de son corps à elle, dans la nage, la rééducation, dans les bouffées d’impuissance, dans les cris.  Audiard filme au plus près des visages et des corps, les rendant fragiles et imparfaits.

Plus que jamais, le corps est mis en exergue ; le sexe est filmé nu, on pénètre dans l’intimité sans pudeur mais avec retenue, les corps s’enroulent, se lient. Audiard ne cache pas l’infirmité, il la montre brute, les moignons bien apparents mais il n’y a pas de malaise, il n’y a que la sensualité ébouriffante de Marion Cotillard et le regard de Matthias Schoenaerts sur elle. Son regard d’homme sur un corps de femme, comme une évidence. Point de handicap quand il s’agit de faire l’amour, juste la rencontre ; et le plaisir.

Audiard n’embellit pas la vie, il ne tombe pas dans le superflu. Il choisit de faire l’économie des mots ; tout passe par l’image, par les expressions sur les visages abîmés des personnages – tout aussi bien les secondaires que les héros, d’ailleurs. Le bruit de la bande son n’est pas nettoyé et la vie s’infiltre partout, tout le temps. En exergue, en arrière-plan, dans le cadre mais aussi hors champ et c’est ça qui provoque l’émotion. L’alternance entre silences et bruits. Entre immobilisme et mouvement. Quand Stéphanie retourne se baigner pour la première  fois après l’accident et sort de l’eau sur les épaules d’Ali, elle a la chair de poule, les larmes aux yeux. On sent dans cette femme qui s’abandonne la fatigue physique de la nageuse, mais aussi la satisfaction inestimable de la redécouverte d’un plaisir qu’elle croyait oublié ; une émotion exacerbée par une Marion Cotillard solaire.

C’est un film vrai, entier et pourtant tout en subtilité, un film où l’émotion n’est pas facile mais bien présente. Un film de qualité, à peine terni par la tirade de Stéphanie sur la délicatesse – trop mièvre – et la scène finale, consensuelle, qui entraîne Audiard dans la sensiblerie qu’il avait jusqu’à alors merveilleusement évitée.

Mais ces exceptions sont infimes et le réalisateur sait nous conter une histoire d’humanité et d’humilité sans tomber dans le lyrisme. Une histoire de vie qui frappe et caresse dans le même temps. Et face à cette vie si infiniment fragile et douloureuse, il y a le regard de l’enfant, qui scrute le monde ; deux grands yeux qui brillent de curiosité, d’insolence, de désir. D’amour. Et sur son visage, irradiante, la lumière.

Qui va là? (« Au-delà des collines »)

Joyeuse surprise (ou pas si joyeuse) dans la sélection du festival de Cannes. Cristian Mungiu revient sur les grands écrans (après avoir eu le Palme d’Or en 2007) avec un film très surprenant de part son thème.

« Mungiu livre un portrait génial et effrayant à la fois de l’irrationalité et la peur qui coexistent dans le cœur noir Européen. », résume The Guardian dans le chapeau de l’article dédié à la critique de ce film.

Pour résumer un peu l’histoire, il s’agit de deux jeunes filles (Alina et Voichiţa) qui se retrouvent dans un monastère loin d’un cadre urbain, la première ayant l’expérience d’être déjà partie à l’étranger pendant que l’autre semble bien endoctriné par la culture chrétienne orthodoxe. La bande annonce explique brièvement la situation des deux personnages et laisse au spectateur deviner leur relation amoureuse qui est en train de faire face à une crise.

En termes techniques, les critiques ne sont pas très parlantes. On peut supposer que le message derrière ce sujet frappant a bouleversé le champ journalistique cinématographique. Et c’est bien sûr attendu, car Mungiu (qui fait partie de ce qu’on appelle la « Nouvelle Vague » roumaine) se fait toujours remarqué par des scénarios moins « orthodoxes ». Pourtant sa mise en scène sera clairement particulière, vu que pour « 4 mois, 3 semaines et 2 jours » il avait laissé les personnages se balader dedans et en dehors du cadre tout en continuant leurs monologues. Entre autres techniques préférées de Mungiu on peut noter les plans-séquence et l’usage des éclairages spécifiques afin de reconstituer certaines atmosphères. Assez tentant, n’est-ce-pas ?

Je ne peux pas ne pas faire une liaison dans le cadre du cinéma Est-Européen, car la crise de la foi, de l’identité et des situations étranges dans des lieux étranges sont des sujets bien encrés et superbement exploités par les pays chrétiens-orthodoxes. D’après le modèle tarkovskyan  (notamment dans « Stalker »), Mungiu essaye de recréer une ambiance tout en changeant d’outils, car la force et la fragilité des femmes sont des traits assez particuliers qui rafraîchissent cette perspective et la remplissent de nuances dramatiques.

Les mots les plus recourents dans les critiques semblent être „exorcisme” et „mort”. Pour le spectateur sensible, la réponse est OUI, cela arrive, le film est inspiré d’une histoire vraie, marqué bien sûr par  la touche d’un grand réalisateur. On est clairement pressés de voir (et revoir, et revoir) ce film pour réussir à élargir notre perspective et, comme Mungiu lui-même veut, créer une polémique.