Un certain courage #2

A l’écriture du premier récap’, teinté d’humour et de bonne volonté sûrement couplé à une vantardise mal placée, je ne pouvais me douter que la chance, le culot, l’audace, nous mèneraient, mes amis et moi, à vivre tant d’expériences à Cannes.

Rendons déjà honneur à notre bonne étoile qui, lors de notre première soirée à la grande et fameuse Villa Schweppes, permit à notre groupe d’une quinzaine de jeunes journalistes d’entrer devant toute la file. Quelle bonheur, la tête haute, de passer en priorité à une soirée sur invitation, dépassant d’un pas nonchalant la cinquantaine de fêtards présents. Le plus heureux devait être Robin, fier et unique garçon de la bande dans sa tenue de pingouin qui accompagnait ces charmantes demoiselles.

Conseil aux garçons : une robe, des talons et un sourire à toutes épreuves, vous savez ce qu’il vous reste à faire. Même le carré VIP n’a pas résisté longtemps à notre venue. Lâchant dignement les mots « influenceuse » et « invitée », le vigile ne pu que s’écarter pour nous laisser gravir les marches noires. De notre côté, c’est nous qui n’avons pas résisté aux cocktails servis, échange de bons procédés.

Notre épopée à la villa ne s’arrête pas là. Tout en entrant illégalement (à force d’enrouler les hôtes.esses mon karma doit être dans le négatif) dans l’espace presse, nous faisons la rencontre de Victor* qui nous offre le numéro du responsable des listes « invités ». Vous connaissez déjà la suite de l’histoire … Ni une, ni deux je prends mon téléphone et récupère quelques places sur liste pour la soirée du lendemain, avec Eddy de Pretto en guest. Arrivée comme des princesses (avec notre seul et unique prince), nous passons la sécurité en annonçant le saint graal « six personnes sur liste pour Clap 8 ».
Checkpoint.
Digne des films hollywoodiens. Simple. Basique.

Julia  & Juline

Les mendiants en smoking

Le must-have ici, ce n’est ni la robe de 3km ni les escarpins de 13cm, mais bien l’accréditation avec photo d’identité de 5cm. On se pense invincible en déambulant fièrement avec notre badge autour du cou, poussant les portes de toutes les salles possibles et assurant aux hôtes qui contrôlent les accès que « oui, oui, nous sommes bien journalistes ».

Des ailes nous poussent dans le dos quand, devant les yeux de tous (des touristes quoi), nous faisons la queue pour rentrer dans le palais, à deux pas de Dominique Frot, aka la proviseure dans la série SODA, ou, plus classe, pour regarder un film à deux rangs de sièges de Daniel Cohn-Bendit. Mais la réalité peut vite faire redescendre un égo proche du « je vous emmerde, je suis une star ».

L’accréditation orange est loin d’être la meilleure pour pouvoir prétendre d’être quelqu’un d’important. Sans invitation ni badge de couleur violet ou blanc, vous vous mélangez vite à la foule de personnes voulant accéder aux projections du Théâtre Lumière, les plus prestigieuses avec leur célèbre montée des marches. Tellement célèbre qu’elle donne un spectacle des plus improbables pour nous, débutants dans ce monde de paillettes : une ligne de mendiants en smoking.

Quand j’utilise le mot mendiant n’y voyez surtout pas une insulte, nous avons affaire ici aux personnes les plus astucieuses pour dégoter les meilleures places qui ne seront pas utilisées. Accrédités ou non, tous ceux qui tiennent leurs affichettes pendant des fois des heures se mélangent et mendient en cœur pour vivre un moment fort dans leur vie. J’ai voulu à multiples reprises les rejoindre (non pas que je suis lassée des sélections parallèles mais il faut bien faire des jaloux) mais mes camarades de Paris 8 n’étaient pas les plus bouillants à cette idée. Je compte dorénavant sur le culot de mon acolyte Julia, qui a déjà fait ses preuves.

Juline et Julia.

Cérémonie de clôture Un Certain Regard

Voici les cinq premières récompenses du Festival de Cannes avec la sélection Un Certain Regard.

Après environ 2 heures d’attente, en ce vendredi 18 mai 2018, nous avons pu assister à la cérémonie de clôture de la sélection Un Certain Regard qui mettait en avant 18 films, venant de différents horizons.

Le jury est composé de trois femmes et de deux hommes.

 

Jury-certain-regard
Jury pour la sélection Un Certain Regard

 

Le président du jury, Benicio Del Toro, est un comédien de renommée mondiale. Il est le gagnant du prix de la meilleure interprétation lors du Festival de Cannes 2008 pour sa performance dans Che. Il s’accompagne ensuite de la réalisatrice et scénariste palestinienne, Anne-Marie Jacir. Celle-ci avait quelques années plus tôt été sélectionnée pour présenter son premier long métrage, Le Sel de la Mer. Le réalisateur Kantemir Balagov, qui lui aussi avait été sélectionné l’an dernier pour la compétition Un Certain Regard, avec le long métrage Tesnota. Virginie Ledoyen, actrice depuis sa plus tendre enfance, a joué auprès des plus grands comme Guillaume Canet et Leonardo DiCaprio. Et pour finir, Julie Huntsinger, directrice exécutive du Festival du Film de Telluride, dans le Colorado en Amérique.

Le premier prix attribué est le Prix Spécial du Jury, décerné à Chuva é cantoria na aldeia dos mortosfes (les morts et les autres). C’est un film brésilien de Renée Nadar Messora et Joao Salaviza qui soutient la cause indienne qui se sent oppressée au Brésil.

 

Affiche de film
Les morts et les autres

Le second est celui de la meilleure mise en scène attribuée à Donbass de Sergei Loznitsa, qui a été par ailleurs le film d’ouverture de la compétition Un Certain Regard dans la salle Debussy. Le réalisateur soutient activement un réalisateur actuellement emprisonné, qui a eu le droit à une minute d’applaudissement en hommage à son combat.

 

Affiche de film
Donbass

 

Le troisième est le Prix de la Meilleure Interprétation, qui est décerné à Victor Polser dans le film Girl de Lucas Dhont, celui-ci est le plus jeune des lauréats puisqu’il est âgé de 16 ans à peine.

 

Affiche de film
Girl

 

Vient ensuite le Prix du Meilleur Scénario décerné à Sofia de Meryem Benm’Barek, qui présentait son tout premier film. Elle voulait mettre en avant la condition des femmes célibataires enceintes au Maroc.

 

Affiche de film
Sofia

 

Pour finir, le Prix d’Un Certain Regard est attribué au film suédois Gräns (Border) d’Ali Abbasi. Il est rediffusé pour la cérémonie de clôture.

 

affiche titre
Border

Sofia : un premier film qui sonne juste

Mercredi 16 Mai : Première présentation à Cannes du film Sofia, sélectionné dans la catégorie Un Certain Regard. Toute l’équipe était présente pour nous faire découvrir ce drame franco-marocain, réalisé par la cinéaste Meryem Benm’Barek. Il s’agit du tout premier long métrage de la réalisatrice et son passage à Cannes ne passera pas inaperçu.

Inspiré d’une histoire vraie, le film Sofia immerge le spectateur au cœur d’une famille marocaine résidant dans la ville de Casablanca. Lors d’un repas de famille, Sofia, fille unique, souffre de violentes contractions au niveau de l’abdomen. Accompagnée de sa cousine, Sofia réalise que son accouchement est imminent. Enceinte et non mariée, la jeune femme va devoir se confronter à sa famille ainsi qu’à une société dans laquelle les rapports sexuels hors mariage sont lourdement punis par la loi. Sofia tente alors de retrouver le père de son enfant.

Différents thèmes sont abordés dans le long métrage de Meryem Benm’Barek : la situation des femmes dans le pays, les rapports de classes, les liens familiaux. Le sujet du déni de grossesse, très peu traité au cinéma, est également une thématique soulevée par la cinéaste. Dans le cas de Sofia il est très éclairant sur la pression que les femmes peuvent subir dans cette société. Le film est riche, beau, émouvant. Il donne la parole aux femmes, sans les victimiser. Ce dernier point était essentiel pour la cinéaste qui regrette souvent la représentation victimisée des femmes issues des pays arabes. Le réalisme du film est également soutenu par la très belle performance des acteurs. L’actrice, Maha Alemi, dans le rôle de Sofia, est bouleversante tant son jeu d’acteur est maîtrisé.

Sofia est seulement le deuxième film marocain présenté lors du Festival de Cannes après Much Loved de Nabil Ayouch en 2015. On attend donc avec beaucoup d’impatience les prochaines productions de la réalisatrice.

 

WHITNEY : I would have danced with you !

«  I don’t want to hurt anymore » ou il est plus approprié ici de dire « to be hurt » résonne encore dans notre esprit alors que nous descendons les marches ce soir. Le documentaire Whitney est une réussite totale pour le réalisateur écossais Kevin MacDonald qui nous livre un portrait de la chanteuse poignant, mêlant documents d’archives et prises actuelles. Nous vous racontons.

Premiers plans sur ce visage si reconnaissable. Sa bouche, ses yeux, son rire si éclatant puis des coupures avec des images d’émeutes, de la violence faites à la communauté noire et de la jeunesse des années 70-80, de ces pubs qui nous font aujourd’hui sourire et de ces robes volantes. Enfin, la musique qui lie ces séquences – et quelle musique ! – qui nous prend aux tripes dès que la diva fait vibrer ses cordes vocales. Oui, nous sommes directement happés et nous rentrons dans cette histoire hors-norme. S’en suit deux heures durant lesquels nous passons du rire, aux larmes et découvrons un autre aspect de la chanteuse qui nous avait échappé, raconté de vive voix par ses proches.

« The Voice » 

Avec plus de 200 millions de ventes d’albums, et 13 disques de platine, Whitney Houston, décédée en 2012 à l’âge de 48 ans, est l’une des artistes les plus iconiques de ces cinquante dernières années. Née en 1963 à Newark ville du New Jersey, la carrière de celle qui se fera connaitre comme « The Voice » débute très tôt dans la chorale de son église. Se démarquant des autres grâce à sa beauté naturelle et sa voix en or, la jeune femme avait tout pour réussir dans le chant connaissant sa famille. Avec une mère, elle-même chanteuse et choriste de nombreux artistes, ses tantes et ses cousines, le don s’est encore transmis et à cette fois-ci dépassé tout entendement.

Un très bon mélange

Six ans après sa mort, l’hommage rendu à la chanteuse impacte par le choix du montage et le récit. Nous tentons de ne pas nous laisser porter par l’émotion, mais au fil de cette histoire si touchante et remplie de part d’ombres, nous en apprenons davantage sur la vie de Whitney Houston. Bien sûr, il y a la star mondiale mais aussi Nippy, la soeur, l’amie, la fille dont les proches qui la surnommaient ainsi nous livrent une facette plus intime, moins diva. Des révélations de ses frères sur son addiction à la cocaïne à la relation destructive qu’elle entretenait avec Bobby Brown, nous prenons conscience des drames qui n’ont cessé de jalonner la vie de la chanteuse et semblant s’abattre sur elle tel un destin tragique.

Malgré la réussite du réalisateur à éviter un énième documentaire copier-coller de la chanteuse, nous pouvons quand même noter un bémol. Le montage est certes rythmé et exhaustif, mais Whitney ne révolutionne pas son genre. De ce type il y a déjà eu Amy en 2015 ou encore Kurt Cobain: Montage of Heck la même année. Mais ce petit détail n’enlève rien à la grande claque que l’on reçoit au visage.  

 

Manon SB

La Cannes à pêche #1

Parce que Cannes est un nid de looks plus improbables les uns que les autres, nous voulons –  nous parisiens devenus cannois en l’espace de trois jours – vous partager la crème de la crème, la cerise sur le gâteau (à la crème), les personnes les plus stylées de la croisette selon l’équipe. Exit la robe plumeau, la veste poil de poussin, nous laissons ça aux rubriques FLOP des magazines de mode. Ici, que du lourd, attention les yeux : ça brille. La pêche aux looks a été bonne.

Carmen y Lola: un amour tabou tout doux !

 

Un premier long métrage pour l’espagnole Arantxa Echevarria, et quelle claque pleine de douceur ! Carmen y Lola, c’est l’histoire de deux gitanes découvrant leur amour interdit, car homosexuel. La réalisatrice voulait, avec ce film, donner une voix à des femmes doublement effacées – d’une part car elles sont femmes et de l’autre car elles sont lesbiennes.

Le film est présenté à la Quinzaine des réalisateurs de Cannes et candidate pour la Caméra d’Or (qui récompense les jeunes artistes et leur premier film). Nous l’avons vu ce mercredi 16, en présence de l’équipe. D’ailleurs, les acteurs ne sont pas des professionnels, ils ont été sélectionnés au sein de la communauté gitane, par souci de réalisme.

Carmen, 17 ans, est destinée à poursuivre le chemin de toutes les femmes gitanes : se marier avec un gitan, avoir beaucoup d’enfants et s’occuper de sa famille. Cette vie, elle ne la questionne pas vraiment. Elle a déjà à l’œil un garçon avec lequel elle veut se fiancer. Lola par contre, veut s’évader de cette communauté restrictive : elle veut étudier et devenir prof, elle adore faire des graffitis d’oiseaux et sait déjà qu’elle aime les filles du haut de ses « presque 17 ans ».

Lola est tout de suite intéressée par Carmen, une beauté fatale et osée. Mais Carmen hésite plus longuement. Les raisons ? La pression familiale, la communauté, le patriarcat, la religion, etc., toutes ces contraintes auxquelles les femmes gitanes doivent se soumettre. Mais la révolution est proche : la nouvelle génération est plus libre et émancipatrice, veut suivre ses sentiments et pas les traditions.

Carmen y Lola est doux, vrai, touchant. C’est un cri venu tout droit des années de silence. Les scènes entre les deux filles respirent fraîcheur et tendresse. Cet amour nouveau et inconnu est traduit dans des scènes poétiques, la scène de la piscine vide ou la scène finale (no spoil) par exemple.

Quelques points sont malheureusement à revoir. Le scénario est sans surprise et sans rebondissements. Certaines scènes auraient pu être plus courtes, surtout celles où la mère de Lola découvre l’homosexualité de sa fille, ainsi que toute la séquence qui suit, très inconfortable. Il n’y a pas vraiment de complicité entre les deux actrices. On voit de l’amitié, certes, mais leurs amourettes sont parfois peu convaincantes (même si on pourrait argumenter que c’est une première fois pour toutes les deux …). Il en est de même pour Carmen, qui « cède » aux avances de Lola : d’abord homophobe (et l’argument de refoulement ne tient pas vraiment la route) puis complètement amoureuse.

Rafiki, film kenyan censuré dans son propre pays, de la cinéaste Wanuri Kahiu est un autre film qui célèbre l’amour lesbien présenté à Cannes.

Lors de la projection, Arantxa Echevarria a dit qu’être une femme lesbienne dans la communauté gitane est synonyme de non-existence et que, grâce au Festival, elles sont vues, entendues et comprises. Ce premier long-métrage n’est pas un sans faute mais sait saisir le spectateur et lui montrer une réalité qui lui est inconnue. Il a par ailleurs suscité des standing ovations de la plus grande partie de la salle. Nous aussi, on applaudit. 

 

Euforia, loin de rendre euphorique

Après Miele, réalisé en 2013, la réalisatrice italienne Valeria Golino s’offre une place à Cannes avec Euforia. Sélectionné dans la catégorie ‘‘Un certain regard’’, ce drame familial, ou plutôt fraternel, manque de conviction.

Deux frères, deux mondes. Matteo, entrepreneur extravagant et détenteur d’un gigantesque appartement romain avec vue sur le monument à Victor-Emmanuel II, symbole de ses moyens. Et Ettore, professeur de collège habitant dans sa ville natale, en province, se revendiquant ‘‘normal’’ face à son frère. Quand le premier apprend que son grand frère est mourant, celui-ci lui propose de poser ses valises à Rome. Les deux hommes se rapprochent, s’aiment, se détestent, se mentent, leurs univers s’entrechoquent….

Deux mondes connus

Malgré leur lien de sang, les deux protagonistes sont en constante opposition. Matteo est beau, riche, audacieux et extravagant (autant qu’extraverti), tandis que l’autre, Ettore, est banal, effacé, nostalgique et prudent. Ce contraste trouve sa source dans des clichés récurrents. L’urbain est ouvert et moderne, le provincial est fermé et rustique. C’est d’ailleurs nettement représenté dans leurs modes de pensées. L’acceptation de l’homosexualité de Matteo, par Ettore et par lui-même, est une des trames du film. Cet élément est maladroitement utilisé par la réalisatrice qui l’utilise principalement pour signifier l’ ‘‘anormalité’’ de Matteo aux yeux de son frère.

Mais l’autre marque de différence entre les deux frères est aussi la maladie. Celle-ci est savamment utilisée, Matteo est en bonne santé malgré un train de vie exigeant. Tandis qu’Ettore subit sa maladie malgré sa vie saine. La tumeur est une injustice sociale entre une classe privilégiée et une classe populaire qui subit tous les malheurs de ce monde.

Présente au début du long métrage, la famille s’efface au fur et à mesure que l’histoire avance. Face à certaines composantes sans intérêt scénaristique, la complexité des relations entre les différents membres de la famille (Mère/Fils, Mari/Femme, Père/Fils) est laissée pour compte. Nous survolons ces dernières pour se concentrer uniquement sur cette fraternité, qui a certains moments s’essouffle un peu.

 Une réalisatrice qui se cherche

Pour autant, le film est prometteur pour la réalisatrice. La construction un peu bancale n’efface en rien un scénario intéressant et certaines prises de vue très esthétiques. Dès le début du long métrage, la couleur est annoncée avec une séquence contemplative où le corps se mélange à la lumière. Mis à part lors d’une séquence de projection, ce type de scène est absente tout le reste du film. En oscillant également avec des séquences plus dramatiques et d’autres à la limite du documentaire, la réalisatrice est en recherche d’un style. Ces quelques fulgurances de réalisation rendent le long métrage inégal et sa longueur n’arrange rien.

Certaines séquences n’ont pas leur place au sein du film et cassent son rythme ce qui provoque parfois un profond ennui. Passer d’un style à l’autre ne vient pas en aide à la crédibilité, certaines scènes peinent à convaincre. Malgré une intrigue intéressante sur le papier, aucun moment réellement fort et émouvant ne se fait remarquer ce qui rend ce deuxième film de Valeria Golino fade.

Loin d’être mauvais, ce long métrage se contente d’être moyen. La crédibilité et la conviction ne sont pas toujours au rendez-vous et sa longueur le rend difficilement appréciable.

 

 

Robin Grez